À la rencontre de Joel Merkler, le pilier qui monte à Toulouse
RugbyPass est allé à la rencontre de Joel Merkler, le colossal pilier espagnol qui commence à se faire une place au Stade Toulousain.
Il suffit de regarder les noms qui garnissent l’effectif du Stade Toulousain pour comprendre que le club ‘rouge et noir’ est un géant du rugby mondial. D’Antoine Dupont à Romain Ntamack, en passant par Jack Willis, Thomas Ramos, Juan Cruz Mallía ou encore Thomas Ramos et Peato Mauvaka, les étoiles brillent toutes plus les unes que les autres.
Mais au milieu de cet amoncellement galactique se trouve un joueur moins connu, issu d’un pays plus réputé pour ses footballeurs et ses tennismen que ses joueurs de rugby. L’Espagnol Joel Merkler.
Né à Gelida, une petite ville de Catalogne située à 40 km de Barcelone, le pilier droit a dû puiser au plus profond de lui-même pour se faire une place au sein de l’institution toulousaine. La saison dernière, il a été partie prenante du doublé Champions Cup – Top 14, participant aux deux finales.
Pourtant, les choses ont failli tourner bien différemment. L’expérience de Merkler en France a failli s’arrêter tout net il y a cinq ans.
« C’était du quitte ou double », raconte le joueur de 23 ans à RugbyPass. « Toulouse m’a dit qu’il fallait que je travaille plus, sinon j’allais rentrer à la maison. Je ne jouais pas en Espoirs, j’ai été prêté à un club de Fédérale 1. Je devais changer ma façon de travailler, aussi bien sur qu’en dehors du terrain. »
« J’ai commencé à m’entraîner davantage, sur le terrain et à la salle de muscu, pour développer mes compétences. Je devais progresser en mêlée, je n’avais pas le niveau Top 14. Ç’a été un combat permanent, avec un nouvel obstacle qui se présentait après chaque réussite. J’ai dû me réinventer chaque saison et trouver le moyen de progresser. Mais quand on veut jouer avec les meilleurs, il faut tout donner, et je ne voulais pas laisser ma chance de représenter Toulouse. »
Rembobinons un peu l’histoire. Comment un pilier polyvalent venu d’Espagne s’est-il retrouvé au centre de formation d’un des plus grands clubs de la planète rugby ?
« En 2017, le Stade Toulousain est venu disputer une paire de matchs contre Sant Cugat (son club d’alors, NDLR). J’ai eu la chance d’y participer et ils m’ont invité à participer à un stage d’été de deux semaines à Toulouse après ça. Ce séjour en France m’a ouvert les yeux. Cette expérience m’a apporté énormément et m’a poussé à me dépasser toujours plus.
Toutefois, Toulouse ne l’a pas immédiatement retenu après ce stage.
« J’ai toujours été un gros porteur de balle et un bon plaqueur, mais un pilier qui n’est pas dominant en mêlée n’a pas d’avenir »
« Toulouse ne m’a plus donné de nouvelles, alors j’ai commencé à passer des coups de fil à pas mal de clubs du sud de la France. J’ai fait des essais à Béziers et Narbonne. Quelques jours seulement avant de signer à Béziers, Toulouse m’a rappelé et m’a proposé de les rejoindre. Mes parents auraient préféré que je m’engage à Béziers, mais Toulouse a toujours eu mes faveurs. Je savais que le défi serait plus difficile, mais je ne pouvais pas dire non à un tel club.
Désormais perçu comme l’un des meilleurs piliers non issus du Tier 1, Merkler (1,94 m, 135 kg) a fait ses débuts en Top 14 au poste de… deuxième ligne, en entrant en jeu à la place d’Emmanuel Meafou. Mais cette polyvalence lui a plutôt joué des tours qu’avantagé à ce moment-là.
« J’étais le gars qui pouvait jouer N.8, deuxième ligne et pilier. Avec ma taille, je pouvais occuper ces trois postes. Béziers me voulait pour me faire jouer 3e ligne centre. À Toulouse, l’idée était de faire de moi un pilier droit. J’ai dû beaucoup travailler pour me convertir en joueur de première ligne.
« Pendant assez longtemps, je n’étais pas assez performant en mêlée, juste moyen. Ç’a rendu mes débuts compliqués à Toulouse. J’ai toujours été un gros porteur de balle et un bon plaqueur, mais un pilier qui n’est pas dominant en mêlée n’a pas d’avenir. Avec le temps, de bons conseils de la part de mes coéquipiers et du staff, de la confiance en soi, j’ai réussi à trouver mes marques en mêlée. Grand comme je suis, j’ai dû travailler plus pour devenir une option fiable en mêlée. J’ai dû améliorer ma technique. Le staff ne m’a jamais laissé tomber. »
Après de nombreux efforts fournis et quelques difficultés surmontées, Merkler s’est fait une place dans l’équipe première, jouant son rôle dans les glorieuses épopées toulousaines. Avec, en point d’orgue de ses 45 matchs sous le maillot ‘rouge et noir’, la finale européenne contre le Leinster.
« C’était dingue, hein ? On a dû disputer les prolongations, après 80 minutes brutales. Chaque mêlée représentait une occasion de marquer, ce qui m’a rendu un peu nerveux. Il s’est passé tellement de choses. Richie (Arnold) s’est fait exclure, le Leinster était tout près de marquer l’essai de la victoire. Mais on a fini par gagner. Je vous laisse imaginer les émotions vécues… Je les ressens encore, bien que je n’aie pas les mots pour les décrire. »
Merkler n’a commencé à jouer au rugby qu’à l’âge de 12 ans, après avoir été un gardien de but imposant et quelconque dans son club de football local. Il se souvient de sa première séance d’entraînement comme si c’était hier, racontant la torture des exercices physiques dans la chaleur torride de Barcelone.
« C’était en juillet, sous un soleil de plomb, par 40 degrés. À l’époque, je n’aimais pas beaucoup le travail physique du sport, alors faire des sprints et des burpees, ce n’était pas la meilleure manière de commencer. Je me souviens être rentré à la maison et d’avoir dit à ma mère ‘Je pense que ce sport n’est pas pour moi’. Elle s’est mise en colère, en me disant que j’allais réessayer. Elle avait raison. Le rugby a changé ma vie, c’est certain. Il m’a donné de la concentration, de l’ambition, des objectifs et l’envie de m’améliorer et de me dépasser. »
« Au football, comme je n’étais pas considéré comme un bon élément, je n’étais pas valorisé, mais au rugby, tout le monde m’a encouragé »
« Je ne dis pas que le football n’est pas un sport formidable. Mais l’environnement du rugby est complètement différent. Vous avez l’impression de faire partie d’une famille. Dans le football, je n’étais pas considéré comme un bon élément, je n’étais pas valorisé. Mais au rugby, tout le monde m’a encouragé. J’ai senti qu’il y avait une place pour moi. Je me suis fait des amis, j’ai perdu du poids, j’ai pris confiance en moi et même mes notes ont augmenté. »
Les études ont toujours été une priorité pour Merkler. Ses parents y ont veillé. Il est sur le point d’obtenir une licence en sciences politiques et commerciales à l’Université de Toulouse, ouvrant ainsi la voie à sa carrière post-rugby.
Et une mention ⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️⭐️ pour l’exceptionnel pilier Joël Merkler.
Présidente du CA de Sciences Po Toulouse, c’est une grande fierté pour notre école d’avoir Joel comme étudiant.
Un colosse et un cerveau ❤️🖤 pic.twitter.com/4tByrWVhL2
— Nadia Pellefigue (@NadiaPellefigue) May 26, 2024
Avec son potentiel qui saute aux yeux, Merkler joue pour l’Espagne depuis les U16, et a fait ses débuts avec les ‘grands’ à tout juste 18 ans, en Uruguay.
« C’était en 2020. Le Covid était là, et ma vie avec les Espoirs de Toulouse ne se passait pas super bien. Santi Santos, le sélectionneur de l’Espagne, m’a pris pour une tournée en Amérique du Sud. Ils m’ont beaucoup aidé à un moment où je n’étais pas très bien dans mon rugby. C’était d’autant plus spécial que mon anniversaire tombait la veille du premier match. Je me souviens m’être senti à la fois nerveux et heureux lorsque l’hymne a commencé à retentir. J’ai regardé de chaque côté, j’ai vu des légendes des Leones juste à côté de moi. C’était une occasion si spéciale et les liens que nous avons créés à cette occasion resteront à jamais gravés dans ma mémoire.
Il a depuis privilégié sa carrière en club au détriment de sa sélection, mais il indique qu’il enfilera à nouveau le maillot des Leones pour le Rugby Europe Championship en février, avec en ligne de mire les qualifications pour la Coupe du Monde 2027.
« Je suis ma route, je sais où je vais. J’adore jouer pour l’Espagne, mais cela doit être gagnant-gagnant. Je veux jouer pour Toulouse et aider mon pays à se qualifier pour la Coupe du Monde. On y arrivera étape par étape. Je ferai tout ce que je peux pour envoyer mon pays en Australie !
« L’Espagne est sur le bon chemin. La fédération travaille bien pour développer le potentiel que l’on a. Le rugby espagnol est reconnu à l’international. Preuve en est, beaucoup de nos jeunes joueurs rejoignent des clubs français. Je pense qu’on doit encore trouver un moyen de développer notre système de formation. Nos U16, U18 et U20 doivent être meilleurs. On va y arriver. »
S’il n’a pas disputé de match international depuis deux ans, c’est aussi parce que Merkler a pris de l’importance aux yeux d’Ugo Mola et du Stade Toulousain. Les piliers, dit-il, sont valorisés en France par leur employeur et leurs coéquipiers, même s’ils ne sont pas les plus populaires auprès des fans.
« Les piliers manquent un peu de reconnaissance de la part du public, je trouve. Un pilier n’est jamais nommé pour le titre de Meilleur joueur de l’année, par exemple. Mais c’est tout le contraire au sein d’une équipe et d’un club, nous sommes valorisés et appréciés. Les bons piliers ne sont pas faciles à trouver, et quand un club français en trouve un, il le garde longtemps. »
Avant de le laisser, on demande à Joel Merkler un petit mot sur Antoine Dupont, celui qui dépose le ballon sous son nez à chaque mêlée. Est-il aussi fort qu’on le dit, même à l’entraînement ?
« Oui, Antoine Dupont est aussi fort à l’entraînement qu’en match. Thomas Ramos aussi. Dupont voit des choses que 99% des joueurs ne voient pas. Il ouvre les portes d’un univers complètement nouveau dans la compréhension du jeu ».
Dernière question, qui maitrise le mieux la chistera ?
« C’est lui, pas de doute là-dessus. Je peux faire de bonnes passes moi aussi, mais Antoine évolue simplement dans un monde à part. »
Cet article a été initialement publié en anglais sur RugbyPass.com et adapté en français par Jérémy Fahner.
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