Affaire Kolbe : qui s’est fait avoir au juste ?
Comment résumer l’affaire Cheslin Kolbe ? A une triste affaire d’argent comme le rugby n’en connaît heureusement que rarement.
Deux clubs – le Stade Toulousain et le RC Toulon – viennent d’être condamnés dans l’affaire du transfert de l’ailier ou arrière champion du monde avec les Springboks, Cheslin Kolbe (30 ans, 31 sélections). 50 000€ d’amende pour le premier, 70 000€ pour le deuxième, « au titre du manquement à l’obligation générale de transparence et de coopération » selon la Section Spécialisée de la Commission de Discipline et des Règlements de la Ligue Nationale de Rugby (LNR).
Un argument contesté par les deux clubs qui ont néanmoins pris acte de leur condamnation, « dans un souci d’apaisement ».
Kolbe va se heurter au Salary Cap
Cette commission de la LNR est chargée de statuer sur les litiges concernant notamment le fameux « Salary Cap ». « Le rugby professionnel », rappellent les membres de la commission, « est le seul sport en France à s’être doté d’un mécanisme de plafonnement de la masse salariale des clubs, appelé Salary Cap. Ce choix d’autorégulation, voté par les clubs professionnels, vise à garantir l’équité et l’attractivité des championnats de TOP 14 et Pro D2. » C’est du fait du Salary Cap que Kolbe ne va pas pouvoir satisfaire ses ambitions.
Auditionnés à deux reprises, les deux clubs devaient répondre d’accusations concernant le dépassement du plafond de la masse salariale lors de la saison 2021-2022 ainsi qu’il avait été calculé par le Salary Cap Manager pour le transfert de Cheslin Kolbe.
Or, au-delà de cet aspect du dossier, c’est un autre qui transparaît sur les conditions dans lesquelles ce transfert a été opéré et comment toute cette histoire s’est terminée.
Toulousain avant d’être Springbok
Dans son édition du 3 janvier 2024, L’Equipe tente de décrypter les zones d’ombre de ce transfert, remontant à août 2021. Cela fait alors deux ans que Cheslin Kolbe a été sacré pour la première fois champion du monde avec les Springboks au Japon (2019) et quatre ans déjà qu’il joue avec le Stade Toulousain.
Pour remettre dans le contexte, son premier match dans le Top 14 était le 26 août 2017 et il obtient sa première cape avec l’Afrique du Sud (comme remplaçant) un an plus tard (8 septembre 2018 contre l’Australie).
Quoiqu’il en soit, ce sont ses trois essais à la Coupe du Monde 2019, dont un en finale contre l’Angleterre qu’il devient une superstar avant de réaliser le doublé Top 14 – Coupe d’Europe en 2021 (après avoir été champion de France en 2019). C’est à ce moment-là que le transfert s’effectue.
Alors qu’il demande une revalorisation salariale conséquente, Toulouse, avec qui il est bloqué encore deux ans jusqu’à l’été 2023, ne répond pas favorablement. Dans le même temps, le RC Toulon lui fait les yeux doux.
Les deux clubs s’arrangent et Toulon sort le carnet de chèque à 2 millions d’Euros pour Toulouse. La résiliation à l’amiable et sans indemnités pour Kolbe, est signée le 26 août, le même jour où Toulon officialise.
Un transfert « sulfureux »
Le RCT marche sur des œufs pour ne pas dépasser le plafond du salary cap fixé à 11 millions d’Euros. « C’est une opportunité tout à fait exceptionnelle, d’autant que l’on avait besoin d’un match winner dans les lignes arrières. Pour un joueur plus moyen, on ne l’aurait pas fait », reconnaîtra le président du RCT Bernard Lemaître dans les colonnes de Var Matin.
Mais le soir même du 26 août 2021, révèle L’Equipe, le conseil de Kolbe prétexte « un préjudice moral » qu’il fixe à 1 million d’euros. Sans ciller, le Stade Toulousain signe dès le lendemain un accord à 640 000€ à verser au joueur, pris sur les deux millions d’euros reçus, soit presque l’équivalent de 18 mois de contrat que Toulouse n’était pourtant pas prêt à lui payer…
« Soit il restait en jouant en reculant, soit il partait avec un risque prud’hommal pour le Stade Toulousain », a confirmé le président du club Didier Lacroix à L’Equipe qui juge aujourd’hui le transfert comme « sulfureux ».
Gros-Jean comme devant
L’Equipe sort la calculette. A Toulon, Kolbe touchera 375 000 € la première saison, contre 620 000€ lorsqu’il était à Toulouse… pour ne pas dépasser le plafond du salary cap ! Bernard Lemaître, le président du RC Toulon imagine un montage où l’ailier serait moins bien payé la première saison, mieux la deuxième et beaucoup mieux la troisième (on parlait alors d’environ un million d’euros).
Mais Cheslin Kolbe n’ira pas jusque-là. Entre blessures (genou, pouce, mâchoire, cheville) et appels auprès des Springboks, Kolbe n’aura pas trop brillé sur la Rade malgré le titre du challenge européen en 2023 (4 essais en 13 rencontres pour sa première saison, six essais en 18 matchs la saison suivante).
Fin mai 2023, lorsque Toulon veut lui baisser son salaire, Kolbe refuse. « Je l’ai viré », a confié Bernard Lemaître à L’Equipe. Kolbe signera une semaine plus tard un contrat avec les Tokyo Suntory Sungoliath (où il retrouvera le Néo-Zélandais Sam Cane) au Japon. Cette fois, il toucherait bien le million d’euros par saison dont il a toujours rêvé…
En résumé, le RC Toulon aura versé deux millions d’euros au Stade Toulousain pour avoir Kolbe qui n’a pas spécialement brillé. Le Stade Toulousain a donné au joueur 640 000€, soit presque 18 mois de salaire, parce qu’il ne voulait pas l’augmenter.
Et Kolbe est finalement parti au Japon pour être sûr de toucher le pactole que les clubs français ne pouvaient lui apporter, entre autres du fait du Salary Cap… une transaction pour laquelle les deux clubs ont été condamnés. Bref, dans cette affaire, personne n’a été gagnant.