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Comment la donnée influence le jeu du XV de France

LYON, FRANCE - OCTOBER 06: Matthieu Jalibert of France celebrates scoring his team's fifth try during the Rugby World Cup France 2023 match between France and Italy at Parc Olympique on October 06, 2023 in Lyon, France. (Photo by Cameron Spencer/Getty Images)

Fabien Galthié ne s’en cache pas : les données jouent une part importante dans sa stratégie depuis quatre ans qu’il est à la tête du XV de France. Encore récemment, alors qu’il commentait pour la première fois l’arrêt brutal en Coupe du Monde de Rugby d’un point en quart de finale face à l’Afrique du Sud, il expliquait :

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« J’ai travaillé avec beaucoup d’analystes, d’images et de données. Un point… un point c’est rien et un point c’est tout. A partir de là, on peut tout remettre en question, évidemment », disait-il lors de sa première prise de parole fin novembre.

Il avait alors expliqué comment, grâce aux données, il était convaincu que l’équipe de France pouvait s’imposer sur les Springboks. Les données l’avaient prédit.

« Tactiquement, quand vous êtes en position de marquer 37 points – sur des données, hein – c’est que tactiquement, face à l’Afrique du Sud, c’est que vous ne vous êtes pas trop trompé sur un plan offensif », justifiait-il.

Tout savoir et prédire

Passionné de données auxquelles il semble accorder une (trop ?) grande importance, Fabien Galthié s’est notamment attaché les services de Jérémy Cheradame, docteur en biostatistique, employé de la Fédération française de rugby (FFR) depuis 2017, membre du département d’accompagnement de la performance et aujourd’hui « data scientist » rattaché aux équipes de France de rugby : garçons, filles, à XV et à 7.

Jérémy coordonne une cellule de quatre personnes, dont deux prestataires, qui fait également appel à une société extérieure qui met à disposition trois data scientists supplémentaires.

Rattaché au staff du XV de France depuis l’été 2021, il se déplace avec le groupe, répond aux interrogations des coachs, formule des recommandations, décrypte toutes les actions. Un travail immense.

« La data permet de mieux décrire l’adversaire », explique-t-il au podcast Data Driven 101 de Marc Sanselme, spécialisé dans l’intelligence artificielle et la data science.

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« On connaît tout sur ce qu’ils ont pu faire au préalable sur les matches passés, ça nous permet de nous préparer au mieux par rapport à ce qui a été fait. Après, sur l’analyse de nos joueurs et notamment par exemple leur exigence physique, ça permet vraiment d’essayer d’optimiser au plus possible leurs qualités. »

Se méfier des données

Alors qu’il baigne dans les données, Jérémy tient pourtant à prendre du recul en permanence en citant le statisticien George Box qui affirmait que « tous les modèles sont faux, mais certains sont utiles ».

Pour expliquer son propos, Jérémy Cheradame aime partager cette anecdote relative au jeu de l’Australie, en match de préparation de la Coupe du Monde de Rugby. Il faut d’abord imaginer qu’il a passé des heures à décortiquer le jeu des Australiens d’Eddie Jones et qu’il pense avoir prévu tous les scénarios.

« Comme tous les matchs, on essaie de prévoir tout ce qui va se passer, notamment par rapport aux données qu’on a pu avoir », explique-t-il dans le podcast Data Driven 101.

« Pour l’Australie, on avait déterminé qu’ils allaient très peu jouer au pied parce que ça ne fait pas partie de leur style de jeu, tout simplement. Et en fait – c’est ce qui fait aussi le charme de ces analyses-là – c’est que ça a été complètement l’inverse et ils ont décidé justement de changer leur stratégie là-dessus !

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« Ils n’avaient jamais autant tapé au pied que dans ce match-là. Depuis plus de huit ans, depuis 2014, ils n’avaient pas fait autant de jeu au pied. On essaie de prévoir plein de choses, mais au final, on est sur de l’humain. Il y a toujours une part d’incertitude qui fait qu’on ne peut pas forcément tout anticiper. »

Conceptualiser le fameux jeu de dépossession de Fabien Galthié

C’est notamment sur le travail de Jérémy Cheradame que le sélectionneur Fabien Galthié s’est appuyé pour peaufiner son fameux jeu de dépossession qui a tant fait parler au début de son mandat, poussant même World Rugby à revoir l’arbitrage sur ce point pour limiter la pratique en vue de la Coupe du Monde de Rugby.

« C’est un des premiers cas d’étude que j’ai pu faire quand j’ai intégré le staff de l’équipe de France où le coach était parti sur un apriori, apriori du fait que, au-delà de 30 secondes de jeu – de 30 secondes de séquences de possession – on avait un risque plus important de perdre le ballon et donc, forcément, de créer un déséquilibre et d’être dans une situation défavorable », raconte le data scientist.

« Il avait donné une règle qui était de se déposséder du ballon par du jeu au pied au-delà de 30 secondes, pour au moins gérer la position sur laquelle on allait rendre le ballon. Et donc ça, on l’a questionné avec les données. On s’est rendu compte que ce seuil de 30 secondes n’était pas forcément fondé.

« On a alors essayé d’optimiser par un autre seuil qui pouvait avoir peut-être plus de sens du point de vue des données et on n’a pas forcément trouvé de seuil qui allaient dans ce sens-là. Mais il y a toujours une part de vérité, ou du moins de compétence, dans la vie du coach qui est un expert du rugby.

« Donc on a essayé de contextualiser plus avec d’autres paramètres ces séquences de possession. Et en fait, on a pu déterminer que dans certaines circonstances, effectivement, on avait un risque de perdre le ballon qui devenait trop important. Et donc, c’est une règle qu’on a vraiment appliquée ensuite à nos joueurs où ils savent que, à partir de telles circonstances, dans telle zone, ils doivent jouer au pied puisque sinon on a un risque trop important de perdre ce ballon. »

Un élément parmi d’autres qui peut favoriser la performance

Ces données, elles sont donc à prendre ou à laisser en fonction que l’on soit sélectionneur, entraîneur ou joueur. Pour Jérémy Cheradame, la donnée doit être considérée à sa juste valeur : comme un élément parmi d’autres et non une vérité indiscutable.

« Forcément, chaque personne, et notamment chaque coach, a des appétences différentes à la data », explique-t-il. « Il y en a certains qui vont effectivement en vouloir un peu moins ; mais on va s’adapter pour que ça puisse lui être utile quand même.

« De manière plus générale, au sein du staff, on a aussi beaucoup de personnes qui ont quand même un background plutôt scientifique, qui sont des personnes qui sont assez convaincues déjà de l’utilisation de leurs données, par exemple pour avoir des retours objectifs sur certaines actions qu’ils peuvent mettre en place.

« Concernant les joueurs, c’est pareil, ils savent que c’est un élément parmi tant d’autres qui peut favoriser leur performance. Ils ont tendance à y croire aussi.

« Après, on reste tout à fait conscient que notre utilisation de la data reste au final à la marge par rapport à tout ce que les joueurs vont faire. C’est eux qui sont sur le terrain et c’est eux qui décident de l’avenir du match. »

Une aide à la stratégie

En plus des indicateurs de performance des joueurs, le data scientist va apporter une pierre non négligeable à la stratégie que le coach voudra mettre en place. Et sur ce point, Jérémy Cheradame sait qu’il trouvera en Fabien Galthié une oreille plus qu’attentive.

« Il y a plein d’indicateurs qu’on va regarder », estime le scientifique. « Ça va être le nombre de jeux au pied, le nombre de passes que chaque joueur va faire entre deux rucks, entre deux regroupements de joueurs, et notamment surtout les différentes combinaisons. C’est vrai que le rugby, ça peut paraître assez chaotique comme ça, quand on le regarde uniquement de manière un peu débutante à la télé, mais il y a beaucoup de choses qui sont structurées.

« Par exemple les différentes combinaisons de passes, on va leur donner un nom et donc essayer de caractériser comment les équipes vont jouer plus ou moins sur certaines combinaisons que d’autres équipes. Ça va nous permettre de mieux décrire un peu leur façon de jouer et de se préparer au prochain match.

« Ce qui est aussi intéressant c’est, au-delà de tout ce qu’on va anticiper, quelle place on va donner aussi à l’intelligence du jeu des joueurs, l’intelligence collective qu’ils vont pouvoir avoir. Parfois, il va falloir qu’ils sortent du projet de jeu puisque l’important, ça va être le jeu, au final.

« S’il y a un espace qui s’ouvre, même si on avait prévu de faire autre chose, il va falloir aller dans l’espace. C’est à la fois faire la part des choses entre ce qui est programmé et ce qui est prévu et surtout ce que le rugby nous amène à faire. »

L’arbitre aussi est analysé

Les joueurs, les adversaires, mais aussi les arbitres peuvent être analysés. La cellule performance du XV de France a même méthodiquement confectionné des fiches sur chacun des officiels de match chargé d’arbitrer ses rencontres.

« Pour certaines équipes, on a aussi développé des fiches d’arbitres », confie Jérémy Cheradame dans le podcast Data Driven 101.

« On sait qu’il a tendance à sur ou sous sifflé par rapport aux autres arbitres, donc qui nous permet de donner des points d’attention un peu particulier. Il y a également des visios qui sont organisées avec les arbitres qui permettent aussi de discuter sur des choses qu’on a pu voir.

« Ça nous donne tout un tas d’indications pour préparer le prochain match et surtout des points d’attention pour les joueurs. On sait que certains peuvent être plus attentifs à certaines règles plus qu’à d’autres. »

Très développé dans les pays anglo-saxons, ce recours à la technologie n’est pas encore très popularisé en France, mais les équipes de France ont désormais rattrapé leur retard en la matière.

Grâce au développement des technologies, d’énormes progrès peuvent encore être faits, en comptant sur les bonnes personnes derrière les bons outils.

« Pour ce qui est de l’équipe de France, je vais essayer de continuer à analyser au mieux les prochains adversaires en essayant de prévoir différents scénarios parce qu’on voit qu’effectivement les équipes s’adaptent de plus en plus à notre style de jeu. Et donc du coup, ce qu’on prévoit est de moins en moins vrai », reconnaît le scientifique contraint de remettre sans cesse l’ouvrage sur le métier.

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