Joueurs premium ou pas, les All Blacks devraient se méfier des Bleus
La victoire des Bleus dans le Tournoi des Six Nations n’a pas changé la perception qu’ont les fans néo-zélandais de la tournée de l’équipe de France en juillet : sans leurs meilleurs joueurs, ils n’ont aucune chance de battre les All Blacks. Une idée reçue dont les Kiwis doivent se détacher, au risque de tomber de haut.
Par Gregor Paul
Retour en 2022. En Nouvelle-Zélande, se diffusait le sentiment que les All Blacks allaient vivre un début d’année particulièrement difficile, avec trois tests programmés contre l’Irlande en juillet, suivis de deux matchs en Afrique du Sud contre les Springboks.
Il n’a pas été compliqué de faire comprendre au public le danger qui les guettait. L’Irlande avait battu les All Blacks fin novembre 2021, et avait remporté trois de ses cinq derniers matchs contre la Nouvelle-Zélande.
Pas besoin non plus de s’étendre sur le défi que représentait le fait d’aller affronter les champions du monde chez eux. Alors, quand les All Blacks sont sortis de cette série avec seulement deux victoires en cinq rencontres, la déception a largement primé sur la surprise.
Conséquence directe, deux entraîneurs adjoints des All Blacks ont fait leurs valises, le sélectionneur Ian Foster a échappé de peu à une démission forcée et cette année-là, la Nouvelle-Zélande a terminé avec bilan de neuf victoires, un nul et quatre défaites. Catastrophique pour la plupart des Néo-Zélandais.

Ce qui n’a jamais été déterminé, c’est si la réaction du public, des médias et de la fédération à l’encontre de Foster et de son staff en 2022 était une cause ou une conséquence du battage médiatique qui a entouré les cinq premiers tests.
La réponse à cette question pourrait venir en 2025, car les All Blacks sont confrontés à une saison tout aussi difficile, si ce n’est plus, que celle d’il y a trois ans. Mais tout le monde ne semble pas encore l’avoir compris.
Les All Blacks commenceront par une série de trois tests contre la France. Une tournée largement dévalorisée dans l’esprit des supporters kiwis depuis que Fabien Galthié a déclaré en juin dernier qu’il viendrait dans l’hémisphère sud sans ses joueurs ‘premium’, laissés au repos après une saison harassante.
La France vient de boucler l’une des campagnes des Six Nations les plus convaincantes de ces vingt dernières années
Conclusion : impossible que les All Blacks perdent contre cette équipe de France, selon la majorité des Néo-Zélandais. Le défi sera-t-il de taille si les Français laissent autant de joueurs à la maison ?
Comme c’est souvent le cas en Nouvelle-Zélande, le fan de rugby ne prête guère attention à ce qui se passe dans le Tournoi des Six Nations. La communauté du rugby ne semble pas avoir pris la mesure du réservoir français, et continue de sous-estimer largement la qualité de l’équipe à laquelle les All Blacks seront confrontés.
La France vient pourtant de boucler l’une des campagnes des Six Nations les plus convaincantes de ces vingt dernières années, en produisant un rugby incroyable, basé sur la puissance et agrémenté d’une forte dose de ‘french flair’, et les Kiwis l’ont à peine remarqué.
Peu de supporters néo-zélandais ont saisi le brio des Bleus, qui ont pratiqué un rugby auquel les All Blacks aspirent, mais qu’ils ne réussissent pas à maîtriser pour le moment.
Les Kiwis paraissent même occulter que la France a battu les All Blacks lors des trois dernières rencontres entre les deux équipes, en utilisant 38 joueurs différents.
La France pourrait laisser 40 joueurs à la maison en juillet et rester un concurrent sérieux, mais Galthié se plait à laisser croire qu’il a l’intention de saboter cette tournée. Ce qui sème le message selon lequel les All Blacks gagneront à coup sûr cette série.
Imaginez la fureur de la nation si les All Blacks de Robertson perdent contre ce qui est perçu comme une équipe de France « B »
Et comme le public et les médias néo-zélandais ont désormais une vision arrêtée de cette série, les All Blacks doivent non seulement la gagner, mais aussi écraser la France trois fois s’ils veulent être à la hauteur des attentes.
Le sélectionneur des All Blacks, Scott Robertson, est trop malin pour sous-estimer les Français, mais il n’appréciera pas que les attentes du public aient été façonnées de la sorte.
Le pays a perdu confiance en Foster en 2022 face à ce qui était sans doute la meilleure équipe irlandaise de l’histoire. Une équipe qui n’était peut-être pas classée N.1 mondiale à son arrivée au Pays du long nuage blanc, mais qui l’était sans conteste au moment de son départ.
Imaginez la fureur de la nation si les All Blacks de Robertson perdent contre ce qui est perçu comme une équipe de France « B ».
C’est presque comme si Robertson ne pouvait pas gagner maintenant : même si les All Blacks remportent la série, ils n’auront fait que réaliser ce que tout le monde considérait comme une exigence minimale.
Et il ne doit pas s’attendre à ce que le récit change à la suite de la victoire de la France au Tournoi des Six Nations, même si quelques experts néo-zélandais commencent à comprendre à quel point les Bleus sont bons.
Toute la pression repose désormais sur les All Blacks, et la France, condamnée à l’avance, pourra venir en Nouvelle-Zélande l’esprit léger avec l’idée d’entrer dans l’histoire
« Nous ne savons pas qui viendra [en tournée], mais ce fut l’une des performances françaises les plus impressionnantes depuis qu’il y a eu tout cette ‘hype’ autour d’eux », a par exemple jugé l’ancien All Black Stephen Donald lors de l’émission The Breakdown, sur Sky.
« Ils ont complètement détruit l’Irlande. On parle de joueurs qu’on ne connait pas forcément – je suis encore incapable de citer leur nom – mais les avants qui sortaient du banc ont roulé sur l’Irlande. Ils les ont écrasés physiquement.
« On sait pourtant à quel point l’Irlande est organisée et structurée et à quel point elle est habile balle en main. Les Français les ont dominés physiquement et l’Irlande ne savait plus quoi faire ».
Toute la pression repose désormais sur les All Blacks, et la France, condamnée à l’avance, pourra venir en Nouvelle-Zélande l’esprit léger avec l’idée d’entrer dans l’histoire.
Lancer leur saison internationale 2025 par trois tests contre la France représente pour les All Blacks un défi aussi ardu que celui vécu en 2022 contre l’Irlande.
Mais là où le curseur du danger est encore plus haut cette année, c’est qu’ils enchaîneront après la série contre les Bleus par deux tests en Argentine – mission compliquée, mais réalisable – avant de rentrer au pays pour se frotter deux fois aux Springboks en une semaine.
Les All Blacks de 2022 avaient perdu trois des cinq premiers tests, et quatre des sept premiers. Qu’un tel scénario se répète cette année n’est pas inconcevable, notamment parce que les Sud-Africains ont très envie de mettre fin à l’invincibilité de la Nouvelle-Zélande à l’Eden Park, qui court depuis 31 ans.
Il ne s’agit pas de prédire l’avenir, ni de considérer les All Blacks comme une équipe en perdition, mais simplement de souligner la difficulté de ce qui attend cette équipe et l’absence de lucidité quant à la rudesse de l’année 2025.
Ne négligeons pas, également, le danger que représenteront les Wallabies à la fin du mois de septembre et au début du mois d’octobre, au moment de la Bledisloe Cup. La tournée en Europe suivra rapidement, avec des matchs contre l’Irlande, l’Écosse, l’Angleterre et enfin le seul match qui apparait sans risque pour les All Blacks, à Cardiff.
La nouvelle donne pour les All Blacks, c’est qu’un ratio de 70 % de victoires constitue un rendement solide
Évidemment, il ne faut pas exclure que les All Blacks survolent l’année de manière majestueuse et signent un sans-faute. Mais le plus probable, c’est qu’à la fin de cette année, les événements de 2022 devront être reconsidérés et jugés moins catastrophiques.
L’époque où les All Blacks remportaient 90 % de leurs tests entre deux Coupes du Monde et restaient invaincus pendant toute une année civile, comme ce fut le cas en 2013, est révolue depuis longtemps.
La nouvelle donne pour les All Blacks, compte tenu des progrès des huit meilleures équipes mondiales, est qu’un ratio de 70 % de victoires constitue un rendement solide.
Déjà l’année dernière, des éléments donnaient à reconsidérer 2022. Les All Blacks ont perdu quatre tests en 2024 – le même nombre qu’en 2022. Et pourtant, Robertson a bénéficié d’une certaine marge de manœuvre étant donné qu’il s’agissait de sa première année à la tête de l’équipe.
Mais si les résultats sont similaires en 2025, le pays devra décider s’il commence à réclamer des changements comme il l’a fait en 2022, ou s’il est prêt à reconsidérer ce qu’est un ratio de victoires acceptable pour les All Blacks de nos jours.
Cet article a été initialement publié en anglais sur RugbyPass.com et adapté en français par Jérémy Fahner.
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