La tragédie qui a poussé Lawrence Dallaglio à se lancer dans des actions caritatives
Le 25 avril, Lawrence Dallaglio est arrivé à Nice à vélo avec toute une équipe, en provenance de Rome d’où le groupe était parti le 13 avril. Près d’un millier de kilomètres, jusqu’à 14 000 mètres de dénivelé. Et le tout, pour lever des fonds en faveur d’une jeunesse en perte de repères en Angleterre.
Cela fait près de 14 ans que l’ancienne légende de l’Angleterre et des British & Irish Lions aux 85 sélections, le numéro 8 champion du monde 2003 âge de 51 ans aujourd’hui, s’est lancé dans de tels défis avec toujours la même ambition : lever des fonds pour des causes qui lui tiennent à cœur.
« J’ai eu l’idée lorsque j’ai participé à l’une des marches de Ian Botham pour la leucémie », raconte-t-il dans une interview exclusive à RugbyPass. « Lorsque j’ai pris ma retraite en 2008, je savais que je voulais faire quelque chose pour rassembler beaucoup de monde. Le cyclisme n’était pas un grand phénomène au Royaume-Uni, il n’a vraiment explosé qu’en 2012. Pour ma part, je n’étais jamais monté sur un vélo de course. »
En 2009, Lawrence Dallaglio lance sa fondation, RugbyWorks, pour venir en aide aux jeunes exclus du système scolaire. On évalue leur nombre entre 100 et 160 par semaine au Royaume-Uni. La fondation a fait le calcul : un jeune exclu coûte à la société 370 000 £ (430 000€) pour le suivre sa vie entière (en cumulant les dépenses de santé, les éventuels frais de justice et autres allocations).
« Notre mission est de travailler avec les jeunes qui ont été exclus de l’école et de veiller à ce qu’à long terme, ils ne soient pas exclus de la société », promet RugbyWorks qui se base sur le rugby pour y parvenir. Afin de financer ces opérations, Dallaglio s’est lancé dans d’importantes collectes de fond, notamment via le sportif.
« J’ai évalué mes options. Courir ? Pour quelqu’un qui avait passé 20 ans à jouer au rugby, ce n’était pas vraiment une option. J’avais perdu un peu de poids depuis l’époque où je jouais au rugby, mais je ne suis pas vraiment fait pour le cyclisme, c’est sûr. Pourtant le cyclisme est bon parce qu’il a un faible impact sur le corps, sur les genoux et les articulations. »
Le but d’une tournée
En 2010, il se lance un premier défi et tous les deux ans il le renouvelle. Cette fois, c’était la septième édition – sa dernière assure-t-il. « J’ai toujours été très inspiré par le fait de rassembler beaucoup de gens pour une cause commune et l’une des meilleures choses dans le rugby, c’est de faire des tournées », raconte-t-il.
« J’ai beaucoup appris en partant en tournée et en ayant le sentiment d’avoir un but, de faire partie d’une équipe, d’accomplir quelque chose – quand on fait quelque chose seul, c’est un sentiment formidable, mais quand on le fait avec d’autres personnes et qu’on s’entraide, le sentiment est encore plus fort. »
Après toutes ces années, l’ancien international peut commencer à dresser un bilan. « Nous travaillons avec plus de 2 000 jeunes chaque année », détaille-t-il.
« Lorsque j’ai créé l’association, j’aurais pu travailler avec de jeunes enfants et donner un ballon de rugby à des centaines de milliers de personnes, mais il s’agit ici de travailler avec un groupe plus restreint de jeunes et d’avoir un impact significatif sur leur vie. Le travail de l’organisation caritative change littéralement la vie des gens, et j’en suis très fier. »
L’objectif d’ici 2027 est d’aider plus de 7 000 adolescents par an, un chiffre ambitieux lorsque l’on sait que ce n’est pas une mince affaire pour tenter d’obtenir les 1,7 million de livres sterling (près de deux millions d’euros) actuellement nécessaires pour gérer le programme RugbyWorks dans sept régions du Royaume-Uni.
A l’origine, une tragédie
L’origine de cette belle action prend naissance dans l’expérience douloureuse traversée par Lawrence Dallaglio et sa famille alors qu’il était adolescent : le décès accidentel de sa sœur Francisca dans la collision entre deux bateaux – le bateau de plaisance Marchioness et une barge – sur la Tamise à Londres à l’aube du 20 août 1989, qui a causé la mort de 51 personnes.
Non pas que le Londonien a été lui-même un jeune défavorisé ; il a été scolarisé au célèbre Ampleforth College de York. Mais sa vie a déraillé après la mort tragique de sa sœur en 1989, à l’âge de 19 ans, et ce n’est qu’en rejoignant les Wasps sur un coup de tête l’année suivante qu’il a pu briser la spirale dépressive.
« Je ne prétends pas venir d’un milieu difficile. J’ai reçu une très bonne éducation, mais en 1989, lorsque j’ai perdu ma sœur dans le naufrage du Marchioness, j’ai passé quelques années où tout allait à vau-l’eau », raconte-t-il.
« Tout au long de ma carrière de rugbyman, j’ai passé beaucoup de temps à soutenir de nombreuses associations caritatives. Toutes très méritantes : Help for Heroes, Wooden Spoon, Cancer Research UK. Lorsque j’ai pris ma retraite, je me suis senti très responsable et j’ai voulu donner quelque chose en retour.
« Lorsque j’ai rejoint les Wasps en 1990, je ne l’ai pas fait parce que je voulais devenir joueur de rugby. Le rugby n’était pas vraiment une voie d’accès. C’était un sport amateur pratiqué les mardis et jeudis soirs. »
La reconstruction par le rugby
Cette tragédie a failli faire exploser la famille, mais celle-ci a tenu bon entre des parents dévastés et un enfant en pleine reconstruction. A cette époque, le rugby n’était pas encore pro et les parents de Lawrence ont dû se saigner pour lui payer le rugby avant d’arriver à en faire son métier.
« J’ai rejoint les Wasps parce que j’avais besoin de quelque chose qui m’aiderait à changer de vie, d’un sens de la famille, d’un sens de la communauté, et c’est exactement ce que le rugby m’a donné », poursuit-il.
« Pour moi, cette aventure dans le rugby a été beaucoup plus spirituelle et j’ai toujours été motivé par le désir de faire quelque chose de beaucoup plus personnel : rassembler mes parents, honorer la mémoire de ma sœur… c’est ce qui m’a motivé.
« Je n’ai jamais été attiré par le rugby pour l’argent et la raison pour laquelle je jouais était très personnelle. Oui les opportunités de jouer ailleurs et de gagner plus d’argent existaient, mais ce n’était pas mon moteur.
« J’avais juste besoin que quelqu’un m’entoure, m’aide et me soutienne. C’est la raison pour laquelle j’ai joué au rugby et c’est la raison pour laquelle, après ma carrière de rugbyman, j’ai voulu donner quelque chose en retour. »
C’est là qu’il voit le parallèle avec son combat quotidien avec RugbyWorks en faveur d’une jeunesse en quête de sens.
« Aucun jeune ne naît mauvais », insiste-t-il. « Ils naissent simplement dans des circonstances assez difficiles et tout ce dont ils ont besoin, c’est d’un système de soutien, d’un peu d’estime de soi, d’un but à atteindre, d’un peu de confiance et de constance. C’est ce que le rugby a fait pour moi et le rugby est le point d’ancrage de cette organisation caritative.
« Cela pourrait être le football, la boxe, les arts, n’importe quoi. Je ne suis pas la personne qui va amener beaucoup de jeunes à jouer au rugby dans cet environnement particulier, mais le rugby a la capacité d’aider réellement ces jeunes et les résultats sont là. »
« J’ai décroché 22 trophées, mais ça ne m’a pas rapporté un sou »
Même si les Wasps n’existent plus depuis 2022, le lien reste fort entre ceux qui ont fait vivre le club.
« Je regarde ma carrière et je me dis que j’ai décroché 22 trophées, mais ça ne m’a pas rapporté un sou. Mais ça ne me tracasse pas. Ces victoires, ça n’a pas de prix. Même si on n’est plus un club de rugby pro, on reste super soudés dans le groupe », affirme Lawrence Dallaglio.
Aujourd’hui, il est un commentateur connu et reconnu dans différents médias. Et en ce sens il assure qu’il a un rôle à jouer pour éduquer le grand public.
« Les commotions cérébrales alimentent le débat ces jours-ci. L’image du rugby, la façon dont nous parlons de notre propre sport, n’est pas très bonne et cela doit changer de façon significative », dit-il.
« Je travaille pour plusieurs médias et nous avons la responsabilité de présenter le sport sous son meilleur jour. Comme je n’arrête pas de le dire aux gens, nous aimons tous piloter des avions, mais si on continue à montrer des avions qui s’écrasent au ralenti à l’aéroport d’Heathrow, on finira par ne plus vouloir prendre l’avion. Le rugby doit donc comprendre et s’approprier ce sport. »