L'art du rugby à sept, selon Tom Mitchell
La seule fois où j’ai fait la couverture d’un magazine, le titre était le suivant : « Jouer dur et vite : Pourquoi le rugby à sept est le sport le plus dur au monde ».
Le rugby à sept s’est depuis longtemps approprié le champ lexical de la force, de la dureté et de la rudesse, et le rugby à sept a toujours eu plus que sa juste part d’athlètes énergiques aux qualités destructrices.
Mais cela ne reflète pas tout à fait la façon dont moi, je vois le rugby. Comment un sport peut-il être si plein de puissance et d’athlètes féroces, et pourtant si beau ? S’agit-il d’un simple sport ou d’un art ? Je crois avoir ma petite idée.
Mettez de côté le football, le rugby à sept est un sport magnifique. Je n’hésite pas à emprunter les mots célèbres de Ruud Gullit quand il parlait de ballon rond lorsque j’évoque le rugby que j’aime regarder : « sexy rugby ». Pour moi, cela réside dans les actions, le timing parfait et la fluidité des mouvements du ballon. L’expression que j’emprunte n’est peut-être pas très artistique, mais elle évoque la nature esthétique de ce sport.
Il m’arrive souvent de me trouver dans la tribune des commentateurs, complètement absorbé, et de sortir des phrases comme « c’est de toute beauté », ou « ils ont créé quelque chose de merveilleux avec cette action ». Dans le même souffle, je dirai « c’est de la puissance brute », ou « ce joueur vient de muscler l’adversaire ». C’est là que réside un superbe paradoxe.
Le rugby à sept met-il de l’art dans le travail ? Il y a peut-être des indices sur le terrain. Prenons l’exemple des Flying Fijians. Pour m’être trouvé à plusieurs reprises dans le tunnel aux côtés de certains de ces athlètes, je peux vous assurer que leur engagement physique est presque trop évident. Parfois, il m’arrive de jeter un coup d’œil dans l’espace inviolable qui sépare les équipes dans le tunnel et la simple vue des Fidjiens me fait penser : « Je ne suis pas dans le bon sport ». On pourrait croire que la musculature est l’élément principal.
Pourtant, lorsqu’ils enchaînent les offloads, les joueurs semblent agir comme des aimants qui se repassent le ballon dans des mouvements parfaits et précis. La fluidité et la perfection du résultat final sont une merveille à contempler. Oui, c’est le fruit d’heures d’entraînement et de travail, mais il en va de même pour les plus grandes œuvres d’art. Tout ce dont nous avons besoin pour nous réjouir, c’est du résultat final. N’est-il pas époustouflant ?
Le meilleur exemple est peut-être celui de deux joueurs d’une même équipe. Les Argentins sortent tout juste d’une victoire au Cap, où les essais ont coulé plus vite que l’eau de la piscine écroulée.
Leur succès est dû en partie à deux hommes : Marcos Moneta et Luciano Gonzalez. Ce sont des athlètes qui ont deux façons très différentes de faire le job.
Moneta, qui a une dimension chorégraphique, peut sauter, se faufiler, danser et, si nécessaire, initier un échange délicat entre la botte et le ballon pour filer à l’essai.
Gonzalez possède la puissance la plus sauvage que j’aie jamais vue sur un terrain de rugby à sept. Il emprunte impitoyablement le chemin qu’il souhaite, sans se soucier d’où sont les adversaires, qui finissent généralement par être balayés d’un côté ou de l’autre. Ses tendances destructrices sont mises en évidence par les plaquages qu’il effectue dans son sillage.
Et puis, il y a les histoires du SVNS. Quoi de plus évocateur d’un drame Shakespearien que la finale des Jeux olympiques de 2020 par les Fidji chantant dans un stade vide à Tokyo, médailles d’or autour du cou pour la deuxième fois, après avoir défié tous les pronostics dès le début.
Que dire des instants de tension des joueurs de la Nouvelle-Zélande exécutant le haka à Hongkong alors que la pluie se déversait du ciel sombre en 2014 ? Les champions mirent à nu leurs torses tatoués, éclairés par les feux d’artifice et les projecteurs.
Puis, mon préféré, le tragi-comique de l’Angleterre battant les États-Unis en match à élimination directe de la Coupe du Monde de Rugby à Sept 2018 en prolongation, à San Francisco. Ces histoires où l’exaltation côtoie la misère sont dignes des grands dramaturges, mais elles existent dans le monde réel du rugby à sept.
À mes débuts, quelqu’un m’a gentiment surnommé le chef d’orchestre. Non seulement cela reflétait la façon dont je voulais jouer au rugby, mais les termes étaient différents de l’engagement physique que le rugby utilise habituellement.
Depuis lors, j’ai toujours considéré le rugby comme une expression créative. Je suis frappé par le fait que, pour certains, la créativité a une apparence artistique plus classique. Pour d’autres, la créativité prend la forme de coups et de dureté.
En fin de compte, la beauté du rugby à sept réside dans sa combinaison de finesse et de force. Les coups de pinceau des Moneta, Geduld, Kennedy à la Claude Monet côtoient les coups d’éclat des Gonzalez, Fineanganofo, Niulevaea, Oworu.
La palette du SVNS est composée de couleurs variées et intenses. Tous les joueurs sont des créateurs, la toile est le terrain, et nous sommes les chanceux, dans la galerie, qui profitent des fruits de leur travail.
Quelle métaphore ! Toutefois, je continuerai à affirmer que les scènes du HSBC SVNS 2024 méritent une place au Louvre. Rugby à sept : le beau jeu.
Par Tom Mitchell