Le long chemin de la Géorgie, du 'lélo' au Tournoi des Six Nations
En ce jour de Pâques, des centaines d’hommes se pressent dans le village de Choukhouti, en Géorgie, pour s’emparer d’un ballon en cuir imbibé de vin, un jeu traditionnel qui explique, selon les habitants, les bons résultats de ce pays du Caucase sur les terrains de rugby.
Organisée chaque année au moment de cette fête religieuse importante, la compétition oppose le nord au sud du village dans une lutte sans merci pour pousser le ballon dans une rivière, sorte de ligne d’arrivée.
Pour l’emporter, il faut se saisir du ballon imbibé de vin, qui pèse 16 kg, et le lancer dans le petit courant.
Connu en Géorgie sous le nom de « lélo », ce sport de ballon possède une longue histoire, les premières rencontres s’étant déroulées il y a plus de 150 ans pour commémorer une victoire militaire contre les envahisseurs ottomans turcs.
Les Géorgiens considèrent le lélo comme le cousin national du rugby, sport inventé par les Anglais dans la première moitié du XIXe siècle, et dont la popularité a explosé ces dernières années en Géorgie.
Les joueurs de l’équipe nationale de rugby sont surnommés d’ailleurs les « Lélos » et restent sur huit victoires finales consécutives dans le Rugby European Championship (REC), l’antichambre du fameux Tournoi des Six Nations.
« C’est ici même que le rugby géorgien puise sa passion pour la victoire, dans l’énergie intense ancrée dans l’ancienne tradition du Lélo », souligne, fier, le chef politique local, Alexandre Sarichvili.
L’Anglais Richard Cockerill, sélectionneur depuis 2024 de l’actuelle 11e équipe mondiale, tient le même discours.
« Nous sommes un petit pays avec peu d’habitants, mais nous sommes tout de même capables d’aligner une équipe capable de rivaliser avec les Fidji, le Japon, le pays de Galles et l’Italie », se félicite-t-il lors d’un entretien au centre d’entraînement de l’équipe à Tbilissi.
« Prouver que nous sommes à la hauteur »
Avec à peine 8 000 licenciés, la Géorgie a remporté ces dernières années des succès probants contre ces quatre nations historiques du rugby mondial.
L’équipe des moins de 20 ans s’est même offert une victoire sur l’Angleterre, en préparation de la Coupe du Monde 2023.
Mais malgré ces résultats en progression, les perspectives proches d’intégrer le Tournoi des Six Nations restent à ce stade nulles, ce que ses dirigeants déplorent.
« Nous méritons une chance de disputer un match de barrage contre la dernière équipe du classement afin de prouver que nous sommes à la hauteur », réclame Richard Cockerill, en référence aux 17 défaites consécutives enchaînées par le pays de Galles (12e mondial) et à la Cuillère de bois récoltée cette année par les Diables rouges, la deuxième consécutive.
« Il y aura forcément une opportunité pour la Géorgie à un moment donné », veut-il croire, bien que « les portes (soient) closes pour le moment ».
D’après lui, un match de barrage entre le dernier du Tournoi des Six Nations et le premier du Tournoi B introduirait de l’enjeu et de l’émulation parmi les plus petites nations du ballon ovale.
« Si nous voulons développer ce sport, je pense qu’il faut qu’il y ait un peu de suspense », demande-t-il.
La Géorgie veut affronter les meilleures équipes plus souvent
À Tbilissi, la capitale, et ailleurs dans le pays, l’enthousiasme pour le rugby, dont le développement est appuyé par les autorités, est de plus en plus visible.
Un Championnat à dix clubs s’est structuré et un centre national d’entraînement a fait son apparition.
Pour Richard Cockerill, le seul moyen désormais pour son équipe de poursuivre sa progression est de se confronter aux meilleures équipes du continent, comme l’Irlande et la France.
« Nous devons apprendre à perdre et à jouer, comme l’Italie », contre des équipes plus fortes, affirme-t-il.
Pour l’heure, le rugby géorgien semble dans une impasse : « On nous dit d’attendre encore cinq ans », peste M. Cockerill, qui dénonce une politique d’ « endiguement ».
D’autant plus que ses meilleurs joueurs préfèrent quitter le pays pour évoluer dans le Top 14, en France ou ailleurs, pour progresser et pouvoir vivre confortablement de leur passion.
À Choukhouti, après plusieurs heures de mêlées âpres, d’un combat violent, ce sont les hommes de la partie nord de la ville qui ont finalement levé les bras.
« Le lélo incarne l’esprit combatif des Géorgiens », dit Nanouli Khalvachi, une médecin de 64 ans venue encourager les vainqueurs.
« Avec une telle tradition sportive, il n’est pas étonnant que la Géorgie soit devenue une place forte du rugby », s’enthousiasme-t-elle.
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