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Le voyage initiatique de Scott 'Razor' Robertson en France

Scott Robertson, ici derrière le pilier international français Nicolas Mas et devant le pilier italo-argentin Sebastian Bozzi, a joué trois saisons dans le championnat de France, sous les couleurs de Perpignan (Photo RAYMOND ROIG/AFP via Getty Images).

Il est sans doute l’entraîneur le plus « bankable » actuellement. Nommé à la tête des All Blacks au lendemain de la finale de Coupe du Monde perdue contre l’Afrique du Sud (11-12), le 28 octobre dernier, Scott Robertson va diriger ce samedi son premier match en tant que sélectionneur de la Nouvelle-Zélande, contre l’Angleterre.

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Avant cette première qui suscite une attente importante dans un pays qui ne vibre que pour ses All Blacks, « Razor » avait empilé les succès avec les Crusaders, la franchise qu’il mena à sept titres consécutifs de Super Rugby en… sept saisons, et autant de démonstrations de breakdance à même la pelouse et sous la pluie.

Mais avant d’être un tel entraîneur à succès, Robertson a été un 3e ligne de devoir qui a gagné le surnom de « razor » par sa capacité à découper tout ce qui passait à portée de main. Pas le meilleur de sa génération, mais suffisamment doué et/ou travailleur pour compiler 23 sélections avec le mythique maillot noir.

Quand il débarque en France, en 2003, il n’a plus revêtu la tunique à la fougère argentée depuis un an, et les étrangers sont encore rares dans un Top 16 professionnel depuis quelques années seulement. Les All Blacks présents dans le championnat de France ne sont pas légion et la signature de Robertson à l’USAP fait son petit effet dans le microcosme rugbystique.

« Ces garçons coûtaient moins cher que des Français »

Cette année-là, le club catalan frappe fort dans son recrutement : il embauche non seulement Robertson, mais aussi l’Australien Dan Herbert (67 sélections avec les Wallabies et actuellement président de Rugby Australia) et Dan Luger, tout frais champion du monde avec l’Angleterre.

« À l’époque, l’USAP était dans les quatre, cinq meilleurs clubs français, faisait les phases finales. C’était plus facile d’attirer des garçons de renom », se rappelle l’ancien président perpignanais Marcel Dagrenat, contacté par RugbyPass. « Mais l’idée de base, c’était l’aspect financier : ces garçons coûtaient moins cher que des Français ».

Même s'il arrivait plutôt en fin de carrière à l'USAP, "Razor" était encore bien affûté. Demandez donc au Munsterman David Wallace, pris par la faucheuse sous les yeux de Nicolas Durand (Photo FRAN CAFFREY/AFP via Getty Images)

Une bonne affaire, donc, pour une USAP armée d’un effectif aussi couleur locale (huit joueurs formés au club) que cosmopolite (sept nationalités). « On recevait une star ! » s’enthousiasme encore l’ancien 2e ligne Christophe Porcu. « Une star issue des All Blacks, leur meilleur plaqueur, le découpeur. On était contents d’avoir un tel joueur dans l’effectif et de ce qu’il allait nous apporter ».

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C’est donc nimbé d’une réputation flatteuse que Robertson arrive dans le Roussillon. Lui débarque avec un projet qui lui trottait en tête depuis quelques années déjà. « Il a toujours été curieux et voulait venir en France pour ouvrir son esprit », dévoile Manny Edmonds, qui l’a connu en Super Rugby avant de l’accueillir à Perpignan. « Son idole, c’est Wayne Smith qui l’entraînait quand il est arrivé à Canterbury. Smith parlait tout le temps de son expérience en Italie. Ça intéressait beaucoup Scott, il avait envie de découvrir une autre façon de voir les choses. »

Ce sera donc l’USAP, et l’ancien ouvreur australien, au club de 2002 à 2007 puis de 2010 à 2011, n’y est pas pour rien : « On se connaissait un petit peu, on s’était affronté plusieurs fois en Super Rugby. Il m’a contacté deux fois, je crois. Quand je suis rentré (en Australie) après la saison 2002-2003, il est venu à Sydney avec sa femme, j’ai passé du temps avec eux, on a pris un café et on a parlé de la vie en France. Il s’est beaucoup renseigné avant de venir ».

Le choix est le bon même si individuellement, la première saison n’est pas la plus aboutie. Toujours Edmonds : « Sportivement, c’est toujours compliqué de s’intégrer, il faut apprendre un nouveau système de jeu, avec le langage qui vient avec. D’autant plus pour quelqu’un comme Scott qui venait d’une autre organisation, avec qui il avait passé beaucoup de temps. Il connaissait par cœur le plan de jeu de Canterbury donc ça lui a pris un peu de temps pour digérer celui de Perpignan. »

« On était des paysans, et lui est arrivé avec son professionnalisme »

Humainement, en revanche, aucun souci. Tout le monde loue sa personnalité avenante, curieuse, bienveillante. Un garçon « facile » (Porcu), « délicieux, très simple, alors qu’on regarde les All Blacks comme des dieux » (Dagrenat).

Collectivement, le stage hivernal en février 2004 dans les Pyrénées catalanes marque un tournant. ‘Razor’ découvre à l’occasion la situation géographique avantageuse du Pays catalan, où mer et montagne sont distantes d’à peine plus d’une heure. « Il me disait “c’est unique au monde de pouvoir skier le matin et prendre un bain de mer l’après-midi. C’est extraordinaire, ma famille ne comprend pas” », sourit Dagrenat.

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Grâce à ce stage, la mayonnaise prend enfin entre Français et anglophones, et l’USAP finit la saison en boulet de canon.

« C’est à partir de ce moment-là que le groupe s’est créé. Après ce stage, il y a eu beaucoup plus de respect des Français pour les étrangers, et vice versa », estime Manny Edmonds, élu par ses pairs meilleur joueur du championnat cette même année. « On a enchaîné les belles victoires jusqu’à la finale du Top 16 en 2004 ».

Un an après la défaite en finale de HCup (17-22), l’USAP cale à nouveau sur la dernière marche, face au Stade Français (20-38). De quoi, malgré tout, bien lancer l’aventure. « Mon meilleur souvenir de cette période reste probablement la finale que nous avons perdue. Ce jour-là, nous n’en avons pas fait assez, mais voir tous les Catalans avec leurs barbecues, à manger des escargots sous la tour Eiffel, c’était vraiment extra », confiait ‘Razor’ à Actu Rugby il y a trois ans.

Surtout, il profite de ce nouvel environnement pour butiner tous azimuts. « Je pense que si on lui avait donné une partie de l’entraînement de l’USAP, en tant que joueur, il l’aurait pris », juge Dagrenat. « Il apportait énormément de techniques d’entraînement. À l’époque j’avais un entraîneur un peu fermé (Olivier Saisset, ndlr) mais lui était très ouvert à ça. »

« Le vestiaire avait son oreille, car il était capé depuis un moment chez les Blacks, il a été capitaine des Blacks. Sur les méthodes d’entraînement, le protée des entraînements, il savait de quoi il parlait ».

« Il proposait des ateliers, avec ce que lui avait connu, avec le savoir qui était le sien et que nous, on n’avait pas », ajoute Porcu. « On était un peu des paysans et lui est arrivé avec le professionnalisme qu’il avait connu. »

Edmonds explique à RugbyPass que cela allait même plus loin : « Il a toujours été intéressé par ça (les méthodes d’entraînement). Je me souviens qu’il était entré en contact avec l’entraîneur des Dragons Catalans (le club de rugby à XIII de Perpignan, ndlr) et qu’ils échangeaient souvent ». La curiosité et l’envie d’enrichir son bagage, déjà.

« C’est sa façon de voir les choses. Il va toujours poser des questions que tu trouves bêtes, mais en fait il a besoin de comprendre. Donc il ne craint pas de poser des questions, de la même manière qu’il n’a pas peur de faire du breakdance devant tout le monde. Il n’en a jamais fait ici mais il est tellement excentrique. Il a tout le temps été comme ça. »

Cette personnalité a vite conquis les cœurs des supporteurs comme ceux de ses coéquipiers. Ces derniers louent son professionnalisme et ils étaient nombreux à le prendre en exemple au quotidien. « Au quotidien, c’est le genre de joueurs qui amène un plus par rapport à leur personnalité, leur charisme, ce qu’ils ont vécu en sélection », atteste Porcu. « Même s’il n’était pas toujours sur le terrain, il nous a beaucoup apporté sur la rigueur, la confiance, l’investissement au quotidien, à l’entraînement. »

L’effet Carter avant l’heure

Une espèce d’ « effet Carter » avant l’heure : sacrée championne de France en 2009, l’USAP avait souligné à quel point la présence de Dan Carter avait tiré tout le monde vers le haut, quand bien même l’ouvreur n’avait joué que cinq matchs dans la saison.

« Il y a un peu de ça », acquiesce ‘Gaillou’ qui a quitté l’USAP en même temps que ‘Razor’, en 2006. « Quand un joueur comme ça arrive, ce que tu ne faisais pas avant, tu le fais le jour même. Ça fait 20 ans, le rugby était professionnel mais c’était du professionnalisme ‘maquillé’ un petit peu. Oui on se préparait, mais par rapport à ce que lui avait connu avec les All Blacks, franchement, ce n’était pas l’exigence que lui nous a amenée. »

L’aventure catalane durera deux saisons de plus. À son départ, il est célébré par le stade Aimé-Giral comme l’un des leurs. Il poursuivra sa carrière une année de plus, au Japon, histoire de vivre une autre aventure dépaysante, un autre rite initiatique, tout en gardant un œil attendri pour la France, et Perpignan en particulier.

« Cela a été des années extraordinaires. C’était un défi pour moi en tant que joueur, mais aussi en tant que personne. Perpignan était un lieu génial pour apprendre le français, se faire des amis incroyables et voyager en Europe. Quand j’y repense, ces années m’ont aidé pour mon actuelle carrière de coach », estime l’entraîneur à la touffe blonde. Sans oublier que son dernier fils Macklan-Gaultier, pas encore vingt ans, est né à Perpignan.

« C’est pour ça qu’il a de bons résultats : si tu as un Catalan dans l’équipe ou dans ta famille, à un moment donné tu es obligé de t’en sortir », chambre Christophe Porcu. Et si, au fond, c’était ça le secret du succès de Scott Robertson ?

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