Luke Cowan-Dickie revient de loin
Les joueurs de rugby sont des durs à cuire, et connaissent souvent bien les hôpitaux proches de chez eux. Alors lorsque Luke Cowan-Dickie mentionne les 14 opérations subies au cours de sa carrière, il le fait avec le détachement désintéressé de quelqu’un qui dresse sa liste de courses hebdomadaire.
Savoir comment fonctionnent les services de chirurgie fait partie du job d’un joueur de première ligne, qui évolue au plus haut niveau depuis 13 ans.
Pourtant, lorsque Cowan-Dickie s’est retrouvé à l’hôpital juste avant le Tournoi des Six Nations pour un problème cardiaque, c’était quelque chose d’aussi nouveau qu’inquiétant.
Le talonneur de Sale avait été retenu dans le squad anglais amené à disputer le Tournoi. Il se sentait prêt pour l’échéance, après s’être longtemps battu pour soigner un nerf du bras qui avait mis sa carrière en danger.
Mais la semaine précédant le premier match de l’Angleterre en Italie, il a commencé à se sentir bizarre durant la rencontre de coupe d’Europe contre La Rochelle.
« J’avais l’impression que j’allais m’évanouir. Tout devenait noir devant moi »
« On jouait depuis environ 20 minutes. Je ne me sentais pas bien. J’avais l’impression que j’allais m’évanouir. Tout devenait noir devant moi », se souvient-il.
« J’ai atteint la mi-temps, mais dans les vestiaires, j’ai senti que mes lèvres commençaient à s’engourdir. J’en ai parlé à l’un des kinés et j’ai été remplacé. J’ai été conduit à l’hôpital, j’ai passé un électrocardiogramme et on a découvert que je développais une fibrillation auriculaire – je n’avais aucune idée de ce que c’était. »
La fibrillation auriculaire, ou atriale, survient lorsque le cœur se met à battre de manière irrégulière et anormalement rapide. Elle ne met généralement pas la vie en danger, mais ne correspond pas à la pratique du rugby en Champions Cup.
« À l’hôpital, on m’a remis le cœur en bon état de marche, raconte-t-il. J’ai été placé sous moniteur cardiaque pendant cinq jours puis j’ai passé une IRM. Les résultats ont montré que tout allait bien.
« J’ai demandé au médecin ce qui avait pu causer cela et il m’a dit qu’il s’agissait peut-être d’un choc, sans pouvoir l’assurer. Il m’a dit que cela pouvait arriver quand on est épuisé.
« Depuis, je me sens très bien, mais si cela se reproduit, j’ai toujours sur moi des comprimés de flécaïnide (un médicament qui traite certains troubles du rythme cardiaque, ndlr) pour régler le problème.
« C’est juste la faute à pas de chance. Je reviens de blessure, je retrouve l’équipe d’Angleterre et je suis à nouveau sur la touche pour une raison aussi improbable ».
Dimanche dernier, Cowan-Dickie a disputé son premier match de compétition depuis sa frayeur avec Sale, à Bath. Sans appréhension ni problème.
« Parfois, j’en fais trop »
S’il n’a finalement pas pu rejouer pour l’Angleterre, demandez-lui d’analyser son rôle en tant que troisième talonneur, derrière Jamie George et le jeune Theo Dan, et vous aurez un aperçu de l’une des personnalités les plus singulières du rugby professionnel.
« Quand vous êtes remplaçant du remplaçant, c’est à vous d’apporter de l’énergie. Parfois, j’en fais trop. Je suis un gars plein d’énergie et cela arrive parfois. C’est comme ça que je suis », a-t-il déclaré.
Energique, voilà un adjectif qui colle à Luke Cowan-Dickie.
Alex Sanderson, son manager à Sale, est heureux de le compter dans son équipe – et il ne serait pas surprenant qu’une prolongation de contrat soit convenue sous peu – mais il concède un peu d’exaspération à devoir gérer les excès de son talonneur hyperactif.
« Il ne peut pas rester assis », a déclaré Sanderson. « Il faut le faire participer aux réunions, sinon il peut s’égarer. Mon frère a été diagnostiqué comme souffrant de TDAH (troubles du déficit et de l’attention avec hyperactivité) et je vois des traits similaires. Je ne sais pas si c’est le cas de Luke, mais il est évident qu’il est différent – c’est le cas des meilleurs joueurs. C’est le cas de Tom Curry et de George Ford. Mais alors que George n’a pas de comportements antisociaux, Luke en a. Il a cette propension, à cause de l’homme qu’il est, à dérailler complètement, puis à se ressaisir ».
L’histoire selon laquelle Cowan-Dickie aurait fini en cellule de dégrisement à Montpellier alors qu’il passait sa visite médicale avec le MHR a été exagérée, affirme-t-il. Aujourd’hui, sortir à Manchester signifie prendre un petit-déjeuner tranquille à Altrincham, insiste-t-il. Mais il admet qu’il peut être difficile à gérer.
Cowan-Dickie aimerait-il se diriger lui-même ? « Question difficile. Je pense que oui », admet-il en souriant.
Alors, comment s’y prendrait-il ? Manierait-il la carotte ou le bâton ? « Un peu des deux. Un peu d’amour et un peu de bâton selon le moment », répond Cowan-Dickie, qui juge ses performances sous le maillot de Sale décevantes.
« Je ne pense pas avoir été très performant. Un joueur ne décide pas seul de l’issue d’un match, mais ce que vous pouvez faire, c’est mettre l’équipe sur de bons rails pour l’aider à gagner des matches. J’ai l’impression que je n’ai pas encore réussi à le faire avec Sale.
Le problème au nerf qui lui a fait manquer la Coupe du monde l’a aussi handicapé en club. Il a souffert d’un déficit de puissance dans son bras droit. Mais croit être sur la bonne voie.
« Je soulève plus de poids et mes muscles fonctionnent mieux. J’ai gagné autant en quatre semaines qu’au cours des 14 derniers mois », s’est-il réjoui.
« J’espère retrouver les performances que j’ai réalisées par le passé. Ce serait bien que je retrouve mon ancien visage ».
Sale a besoin d’un Cowan Dickie à son meilleur niveau pour la fin de la Premiership si les finalistes de la saison dernière veulent se qualifier pour les play-offs, après une série de cinq défaites consécutives.
Avec, en ce dimanche de Pâques, le match idéal pour se relancer : la réception d’Exeter, l’ancien club du talonneur. « Nous allons traiter chaque match comme un match à élimination directe. Le fait qu’il s’agisse d’Exeter ce week-end sera spécial pour moi, cela me donnera certainement un peu plus de motivation. »
La configuration parfaite pour renouer le fil d’une carrière mise trop longtemps entre parenthèses.