« Maintenant, je suis en paix… » : Séraphine Okemba revient sur son année « mouvementée »
C’est un entretien rare et exclusif que nous a accordé Séraphine Okemba au terme d’une année qu’elle qualifie elle-même de « mouvementée ». Pour RugbyPass, la septiste n’élude aucun sujet, revient avec franchise et honnêteté sur le traumatisme de sa 5e place aux Jeux olympiques de Paris 2024 et la force qu’elle a trouvé pour rebondir vers un nouveau projet à XV avec l’espoir de participer à la Coupe du Monde de Rugby 2025 en Angleterre.
Cette année 2024 a été également celle de la sortie de son premier album qui est malheureusement passé au second plan, éclipsé par sa déception sportive. « Avec le recul », Séraphine Okemba se livre comme rarement et réussit à trouver les bons mots pour se relever des moments difficiles qui l’ont marqué à jamais.
Séraphine, tu es l’une des premières au monde à avoir sonné la cloche de Notre-Dame au Stade de France. Quel effet ça te fait ?
« Je suis très honorée. J’ai eu la chance d’être sélectionnée, de jouer au Stade de France. Je n’aurais pas pu rêver mieux. Au-delà du résultat, c’est ce que je retiens de cette année 2024 et de ces Olympiades. »
En un mot, comment qualifierais-tu cette année 2024 ?
« Mouvementée. Ça a été mouvementé. Autant de hauts que de bas. Je dirais beaucoup d’apprentissage quand même ; c’est le principe de la vie, rien n’est linéaire, ça monte, ça descend, c’est la vie… »
Comment arrive-t-on à se remettre de ça ?
« J’avoue qu’au départ c’était très difficile. J’ai d’ailleurs été accompagnée psychologiquement parce que j’ai eu du mal à digérer. J’avais tellement pour objectif cette médaille d’or et rien d’autre que j’ai vraiment eu du mal à réaliser. J’ai vraiment réalisé qu’on avait perdu quand on a joué contre l’Irlande (victoire 19-7 en demi-finale pour la 5e place, ndlr). Même après la défaite contre le Canada (14-19 en quart de finale du tournoi olympique, ndlr), je n’arrivais toujours pas à y croire. C’est là que je me suis dit ‘c’est fini, il n’y a plus d’espoir’, en tout cas pour chercher une médaille d’or. »
« Ça a été quand même très dur. Après, avec le recul, je me dis qu’on a fait un record – 66 000 personnes – ma famille était là, j’ai porté le maillot de l’équipe de France, j’ai tout donné sur le terrain. Je me dis que je dois être aussi contente de ça parce qu’il y en a beaucoup qui n’ont pas eu la chance de jouer, de porter le maillot. Il y a des familles qui se sont déplacées pour certaines joueuses qui n’étaient pas sur le terrain.
« Après, avec le recul, je me dis que c’était quelque chose d’incroyable et j’ai envie d’en faire quelque chose de beau. Plus tard, quand je tournerais la page du rugby réellement, j’ai envie de me dire que c’était un truc de fou. Et je n’ai pas envie de garder cette défaite au premier plan. »
Le lendemain, vous arrivez quand même à vous relever, à enchaîner deux victoires pour finir 5e. C’est l’orgueil qui a parlé ? La fierté ?
« On est quand même à la maison, donc on se devait de finir sur une bonne note. Même si ça a été dur de perdre contre une belle équipe du Canada qui a su nous jouer. Je pense qu’il fallait terminer sur deux bonnes notes parce qu’avec 66 000 personnes, c’était un devoir. Il fallait qu’on montre notre envie à toute la France. »
Que s’est-il passé dans les heures qui ont suivi la 5e place ?
« C’était très compliqué. On est partagé entre le fait de dire qu’on n’a pas rempli notre mission, mais on est quand même au Stade de France. Tout ce monde qui s’était déplacé pour nous voir, c’était incroyable, pour nous encourager, pour nous soutenir. C’était vraiment un entre-deux. C’est pour ça que je dis qu’il y avait des hauts et des bas. Même sur le plan émotionnel c’était vraiment très aléatoire. C’est pour ça que de prendre du recul, ça fait aussi du bien. »
Séraphine Okemba de l’équipe de France est plaquée par Steph Rovetti de l’équipe des États-Unis lors du match de la poule C de rugby à sept féminin entre la France et les États-Unis lors de la troisième journée des Jeux olympiques Paris 2024 au Stade de France le 29 juillet 2024 à Paris, France. (Photo par Michael Steele/Getty Images)
As-tu pu couper un peu après en août ? Parce que tu as vite enchaîné sur un autre projet, on va en parler dans un instant…
« J’ai coupé réellement une semaine. Je sais, c’est pas beaucoup, mais c’est mon tempérament. Ça me va très bien. »
Comment s’est passée cette bascule à XV ? Est-ce que c’était quelque chose que tu mûrissais déjà ?
« C’était déjà prévu en amont que je postule. Après, j’ai été sélectionnée pour cette aventure, cette tournée (au Canada pour le WXV, ndlr). Je vais le dire comme ça : j’ai encore beaucoup de travail. »
Tu as été élue dans la Dream Team de rugby à 7 aux World Rugby Awards. Qu’as-tu éprouvé lorsque tu as appris ça ?
« C’est un honneur. J’avoue que j’ai encore un peu de mal avec les distinctions individuelles parce que je suis très concentrée sur le collectif. Mais ça fait toujours plaisir de recevoir des prix. Je suis quelqu’un qui travaille beaucoup, j’aime beaucoup travailler et c’est aussi une récompense que je prends à bras ouverts. »
Comment as-tu vécu le WXV en septembre et octobre au Canada ?
« Déjà, ça m’a permis de basculer rapidement sur quelque chose d’autre et de ne plus penser aux évènements précédents, aux JO. Franchement, plutôt bien. Je sais que j’ai beaucoup d’apprentissage au niveau rugby stratégique. Et d’ailleurs, je me suis dit qu’il n’y avait absolument aucun intérêt à comparer le 7 et le XV parce que pour moi, ce n’est vraiment pas la même discipline. Maintenant, la prochaine fois qu’on me demandera si je préfère le 7 ou le XV, je dirais que ce n’est pas le même sport, tout simplement. »
Tu fais partie d’une équipe qui joue beaucoup, mais qui ne gagne pas forcément – sur tes quatre premières sélections tu as connu trois défaites – et malgré tout c’est une équipe qui est pleine d’ambition. Est-ce qu’être au début de cette aventure te motive encore plus ?
« Oui car c’est aussi une opportunité, une chance. J’arrive dans un projet qui est en construction, là où moi je vais apprendre. Je fais partie de toutes ces briques qui sont posées au fur et à mesure. Je prends le défi à cœur et j’ai hâte de mettre ma pierre à l’édifice. Je vais travailler tout ça et après on verra bien. »
Désormais, tu es focus à fond sur le XV ?
« C’est ça. Je ne suis concentrée que sur le XV. »
Avec l’ambition de disputer la Coupe du Monde de Rugby féminine en 2025 en Angleterre ?
« Je travaille pour ça. J’avoue que dans ma façon de fonctionner je fais vraiment étape après étape. Pour moi c’est proche et loin à la fois. Et pour l’instant, je me concentre vraiment sur le championnat, sur ma première saison quasiment complète. C’est la première fois que je vais faire une saison quasiment complète avec mon club. Ça me fait aussi du bien de changer complètement d’environnement parce que tout le temps dans le 7 ce n’est pas du tout le même rythme de vie. Je profite aussi de cette ‘nouvelle vie’ et de ce nouveau challenge. »
Est-ce que ça te repose de rester à domicile une année complète ?
« Reposer c’est un grand mot parce que, mine de rien, il y a beaucoup de travail à XV ! J’ai des journées hyper chargées. Ça me fait du bien parce que j’aime bien être active. On travaille différemment du 7, mais on travaille quand même beaucoup. »
Une prochaine étape est le Tournoi des Six Nations. Est-ce un tournoi dont tu rêves ?
« Oui parce que je n’en ai jamais fait. J’aime bien les challenges. J’ai envie de tout faire pour y arriver. C’est pour ça que je me concentre d’abord sur le championnat et après on verra. Mais si jamais je suis prise dans le futur, c’est que j’aurais travaillé dans le présent. Donc je commence d’abord par le présent. »
Que représente le Tournoi des Six Nations pour toi ?
« Le premier truc, c’est la performance. J’ai envie de performer avec le collectif, de le remporter, d’autant que ça fait longtemps que l’équipe n’a pas gagné de Six Nations. D’ailleurs, que j’y sois ou que je n’y sois pas, j’espère que dans cette phase de construction on arrivera à aller chercher la perf sur ce Six-Nations. Je pense que c’est possible. »
Est-ce que ça veut dire que le 7 c’est complètement mis de côté ou entre parenthèses ?
« C’est dur de répondre… Je dirais entre parenthèses. J’avoue que je ne sais pas encore. Je verrai en temps voulu. »
Est-ce que Los Angeles 2028 est un objectif dans un coin de ta tête ?
« C’est dans un coin de ma tête. Je veux quand même cette médaille d’or, je ne vais pas mentir (rires). Je veux cette médaille d’or. Je la voulais pour Paris, je ne l’ai pas eu. En sortant des Jeux, je me suis dit ‘et bien, ça sera Los Angeles’. J’ai encore envie de me battre, j’ai encore l’état d’esprit, la volonté. Après, je verrai comment je me sentirai à la fin de l’année prochaine. Mais en tout cas, c’est bien dans un coin de ma tête. »
Après, il y aura Brisbane 2032…
« Bon, là quand même… J’avoue que je ne me projette pas du tout (rires). »
Dans cette année 2024, tu as également sorti ton premier album. J’ai été surpris qu’il sorte un peu en catimini en plein milieu du mois d’août. C’était voulu ?
« Non, mais c’était compliqué. Ça a été très compliqué pour moi de digérer la défaite. J’avoue que j’étais persuadée que j’allais sortir cet album dans de meilleures conditions. Si ce n’était pas la médaille d’or, au moins un podium. Mais sortir comme ça, c’était très, très dur. J’ai eu du mal à le sortir, je ne voulais plus parce que quand tu as une chanson qui parle de Paris 2024 et qui dit que tu vas gagner la médaille d’or et que tu ne l’as pas, évidemment ce n’était pas évident.
« J’ai quand même fini par le sortir. Je me suis dit que ça racontait aussi mon aventure, mon année 2024. C’est pour ça que l’album s’appelle La Saison. Je me suis dit que je n’avais pas fait tout ça pour rien, donc je vais quand même le sortir. »
La crainte aussi que l’on concentre uniquement les questions sur les JO plutôt que sur l’album ?
« Honnêtement, ce que pensent les autres, je m’en détache assez parce que cet album, je l’ai fait aussi pour moi. C’était un projet qui me tenait à cœur et j’avais envie de me faire ce plaisir-là. Ce n’était pas évident parce que, encore une fois, la perf n’était pas au rendez-vous et je n’avais pas prévu d’autre scénario. »
Tu es joueuse de rugby, ton album parle de performance, de solidarité, mais jamais le mot ‘rugby’ n’est prononcé dans l’album…
« Je pense que le rugby, c’est la vie. Je pense que si on veut voir vraiment au sens large, je ne voulais pas m’enfermer dans un truc très sportif parce que ce qu’on apprend au rugby, on peut l’appliquer dans notre vie et c’est vraiment ce que j’ai voulu partager avec cet album. Dans ce que je vis, en tant que sportive de haut niveau, il y a énormément de parallèles avec la vie. »
La chanson Si t’y crois semble avoir été composée pour toutes les sportives qui n’ont pas eu ta chance…
« D’ailleurs, cette chanson a une histoire… C’est suite à la non-sélection de Yolaine Yengo et de Joanna Grisez à Tokyo. Le moment qui a été un peu dur pour moi, parce que ce sont des amies très proches, a été de leur dire au revoir. C’était déjà dur pour les personnes qui étaient restées à Paris. Des joueuses sont venues au Japon et sont rentrées.
« Je leur ai dit que quand je porterais ce maillot, je jouerais avec elles, je donnerais tout pour toutes les joueuses qui n’ont pas eu la chance d’être sélectionnées. Je me suis mise à leur place. C’est dur, c’est horrible. J’ai écrit cette chanson parce que je voulais qu’elles continuent d’y croire, qu’elles croient en Paris 2024, qu’elles croient en Los Angeles, en Brisbane pour certaines. Pour moi, dans la vie, si tu n’as plus d’espoir, si tu ne crois plus, tu ne peux pas avancer. »
Il y a aussi la chanson Relativise qui résonne particulièrement après les JO de Paris 2024…
« C’est vrai… Parce qu’il faut apprendre à relativiser… C’est marrant parce que quand j’écoute mon album, c’est comme si tout était déjà écrit ! Je me dis que je suis sportive de haut niveau, je suis professionnelle, j’ai la chance d’en vivre. C’est vrai qu’il y a les titres, les victoires et les défaites. Mais il faut relativiser parce qu’on vit quelque chose d’extraordinaire que peu de personnes ont la chance de vivre. »
Comment fais-tu vivre cet album aujourd’hui, Séraphine ?
« J’avoue que je ne le fais pas trop vivre parce que je suis vraiment concentrée sur le XV. Encore une fois, j’ai beaucoup à apprendre. Je reste focus sur mon objectif. J’attendrais les vacances pour un peu plus communiquer là-dessus. D’ailleurs, le 26 décembre ça fait un an que j’ai sorti mon premier titre. »
Est-ce qu’au final il n’est pas plus facile pour toi de parler de cette année via le prisme musical plutôt que sportif ?
« Pas forcément, j’aime bien les deux. De toute façon, les deux se rejoignent. Dans la musique je parle de ce que j’ai vécu, de ce que j’ai ressenti. Et tout ça s’est passé dans le rugby. Si on me pose des questions sur le rugby, maintenant je suis en paix avec ça. Ça ne me dérange pas. »
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