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Mathieu Raynal : « les arbitres aussi ont le droit à l’erreur »

LONDRES, ANGLETERRE - 20 JANVIER : L'arbitre Mathieu Raynal montre un carton jaune pendant le match de l'Investec Champions Cup entre les Harlequins et l'Ulster Rugby au Twickenham Stoop le 20 janvier 2024 à Londres, en Angleterre. (Photo par Ryan Pierse/Getty Images)

Sorti le 1er février et déjà visionné plus de 316 000 fois, le documentaire évènement Whistleblowers est enfin diffusé en France en exclusivité et gratuitement sur RugbyPass TV.

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Bénéficiant d’un accès sans précédent au « métier le plus exigeant du sport », Whistleblowers donne aux téléspectateurs un éclairage inédit sur les pressions et les émotions subies et ressenties par les meilleurs officiels de match du monde au moment de gérer les rencontres sur la plus grande scène du rugby. Des vétérans expérimentés aux débutants en Coupe du Monde de Rugby, le film met en lumière les personnalités qui se cachent derrière le sifflet.

Parmi elles, l’arbitre Français Mathieu Raynal (42 ans), très utilisé sur France 2023 en officiant sur quatre matchs de poule, sur le quart de finale entre l’Angleterre et les Fidji ainsi que la deuxième demi-finale entre l’Angleterre et l’Afrique du Sud. En 18 ans de carrière – marquée par trois Coupes du Monde de Rugby (2015, 2019 et 2023), onze campagnes du Six Nations à la touche et au centre (2016-2023) et sept Rugby Championship à la touche et au centre sur le plan international – il a brillé sur tous les terrains jusqu’à être élu meilleur arbitre de Top 14 en 2022.

En exclusivité Pour RugbyPass, il confie sa vision de l’arbitrage aujourd’hui, les défis auxquels font face ses pairs et la direction qu’il souhaiterait que l’arbitrage prenne à l’avenir.

Qu’avez-vous pensé du documentaire Whistleblowers ?

« Je trouve que les arbitres ne s’ouvrent pas assez au grand public. On communique très peu sur la manière dont on arbitre, sur nos observables, sur ce qu’on utilise, comment on arbitre pour essayer d’éduquer le grand public. On communique très peu sur comment on fonctionne entre nous. Du coup, je trouve que ce documentaire vient au bon moment.

« On commence à s’ouvrir un peu plus, à montrer le côté humain des arbitres, la vie de groupe, ce que les gens n’ont pas l’occasion de voir. Ça humanise un peu la fonction et je trouve ça plutôt positif. »

Est-ce qu’une préparation mentale, au même titre qu’une préparation physique, doit être indispensable aux arbitres sur un tel évènement ?

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« La dimension mentale, que ce soit à la fois la santé mentale des arbitres ou la préparation mentale, c’est un domaine qu’on a un peu oublié pour se focaliser sur la préparation physique, la technique, la précision de ce qu’on faisait entre nous. Mais dans les années à venir, ce sera quelque chose de primordial.

« On ne peut pas laisser des arbitres autant exposés seuls mentalement ou traverser des épreuves compliquées en les laissant seuls. Il faut arriver à les accompagner parce que parfois c’est difficile. Il faut les préparer au mieux, mentalement. Ça sera un des challenges de World Rugby dans les années à venir, d’intégrer dans les cycles de quatre ans une préparation mentale adéquate, dans les championnats comme on peut avoir dans nos pays – Top 14, Premiership – de proposer ça comme ressource aux arbitres. Ce sera essentiel dans les années à venir. »

Ça a été très dur pour le corps arbitral sur cette Coupe du Monde. Est-ce qu’en étant Français, vous vous êtes senti en quelque sorte protégé ?

« Très dur, tout est relatif. Ça reste du sport. Tu es juste soumis à la critique publique, parfois à l’acharnement médiatique, à la puissance des réseaux sociaux contre laquelle tu ne peux pas lutter seul. T’es soumis à ça.

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« Est-ce que c’est difficile ? Pour certains ça l’est, pour d’autres ça l’est moins. Ce n’est pas une question d’être Français ou non. Si c’est Ben O’Keeffe qui traverse un moment comme ça, comme c’est mon ami, je vais être touché pour lui. Je ne me sens pas protégé parce que ça ne tombe pas sur moi. On est un groupe, on se connait très bien, on est très solidaires les uns les autres et on a de la peine pour les mecs quand humainement ils traversent des périodes difficiles. »

Comment arrivez-vous à vous soutenir les uns les autres dans ces périodes difficiles ?

« Quand tu fais partie des meilleurs arbitres du monde, c’est que tu as la capacité d’absorber ces contextes un peu compliqués ou ces environnements un peu hostiles. Tu peux être juste là pour les mecs, être présent, discuter avec eux, leur changer les idées. C’est un truc normal.

« Je crois que Ben est assez fort mentalement pour traverser un moment qu’on a tous connu en tant qu’arbitres de haut niveau, à un moment ou à un autre. Pour une décision, tu vas être jugé, condamné par les réseaux sociaux, tu vas prendre des vagues de contestation sur toi, des vagues de critiques. Dans ces moments-là, il ne faut pas oublier d’où tu viens, tout ce que tu as fait de bon et ne pas remettre tout en question pour, potentiellement, une contre-performance. »

Vous parlez de contre-performance pour les arbitres aussi ?

« Aujourd’hui, tout le monde a le droit d’être contre-performant : les joueurs, les entraineurs… j’aimerais qu’on accorde aussi ce droit aux arbitres, le droit à l’erreur, le droit de se tromper. Un arbitre de très haut niveau aujourd’hui a 90% de bonnes décisions. Ce sont les standards d’un arbitre de très haut niveau. Et il a 10% soit d’erreur, soit de non-décision sur un match. Mais sur des matchs qui vont hyper vite, c’est très peu !

« Aujourd’hui, si on demande à un entraîneur s’il veut prendre un buteur qui a 90% de réussite, ils signent tous dès demain. J’aimerais que l’on mette en avant les erreurs des arbitres, mais qu’on n’oublie pas non plus 90% de choses bonnes qu’il fait. Dans les moments compliqués, si t’es un peu faible mentalement, ces 10% d’erreurs que tu fais prennent énormément de place. Et si tu es fort mentalement, tu laisses la place aux 90% que tu fais bien.

« Tu acceptes de faire une erreur – ou 10% d’erreur – et tu travailles pour ne plus les refaire, tout simplement. C’est le lot de tous les gens qui sont dans le haut niveau : les joueurs, les entraineurs, les arbitres. Tu travailles pour être meilleur, pour réduire le pourcentage d’erreur. Mentalement, si tu ne l’acceptes pas, tu te mets en difficulté. »

Aujourd’hui, tout le monde semble légitime à donner son avis sur l’arbitrage. Ça vous questionne ?

« Tout le monde a une responsabilité. Nous, déjà, la première des responsabilités que l’on a, c’est de s’ouvrir au grand public, d’expliquer, de communiquer mieux sur ce qu’on fait, sur comment on travaille, sur comment fonctionne une équipe de quatre avec le TMO, quels critères on prend en compte quand on siffle quelque chose.

« Tout cela fait partie d’un consensus avec les joueurs et les entraîneurs, tout le monde est sur la même ligne. Que le grand public ait accès à ces informations-là, ça facilite la lecture et la compréhension de l’arbitrage. Ça sert au grand public et aux arbitres.

« La presse a un rôle à jouer aussi. Quand je vois des raccourcis dans la presse où on va stigmatiser un arbitre ou s’acharner contre une décision, tu as une responsabilité. Tu ne présentes pas la situation dans sa réalité, dans sa globalité. Tu prends un point, tu l’extrais et tu mets une loupe dessus. Ça fausse un peu l’opinion des gens. Et ça vaccine des générations de gosses contre l’arbitrage qui est un sport que je trouve incroyable.

« Le dernier point, c’est les gens. Les gens aussi ont une responsabilité, mais ça, c’est à l’image de la société. Sur les réseaux sociaux, les mecs vont critiquer Mbappé, trois minutes après Macron, trois minutes après un arbitre… En neuf minutes, ils ont fait le tour de tous les gens qui sont exposés et eux sont restés assis sur leur chaise devant leur ordinateur. Ça aussi c’est problématique, mais ça, on ne peut pas le changer, on ne peut pas lutter.

« Nous, on est un peu démunis face à ça. Notre seule arme à nous, c’est justement de communiquer, de donner un avis d’expert, de donner un avis technique avec des arguments. Parce qu’à partir du moment où tu as occupé l’espace, tu coupes l’herbe sous les pieds à ces gens sans compétences qui font de leur vision une vérité alors que c’est complètement faux. »

Comment l’arbitrage a évolué depuis vos débuts ?

« Avec les joueurs, avec les entraineurs, hormis cas exceptionnels, ça s’est toujours passé super bien. On a la chance d’avoir des mecs qui sont des ambassadeurs de notre sport, que ce soit Antoine, Romain, Greg et d’autres à l’étranger et dans toutes les équipes. Je suis super fier que mon fils s’identifie à des mecs comme ça parce qu’ils ont tout : ils sont très talentueux, respectueux, abordables, très à l’écoute…

« Le problème vient de comment on gère la puissance de la caisse de résonance que représentent les réseaux sociaux. Comment on gère ces médias qui s’empressent de faire un article parce qu’il faut être le premier à sortir une info sans nécessairement argumenter ni amener un contre-poids pour offrir une vision juste. C’est ça le souci aujourd’hui, pas les mecs sur le terrain. »

On a toujours entendu dire : l’arbitre a toujours raison. Est-ce que c’est encore vrai ?

« L’arbitre n’a pas toujours raison. Il faudrait dire : parfois l’arbitre se trompe. Il faut juste l’accepter. J’ai arbitré plus de 350 matchs dans le haut niveau ; je crois qu’il n’y a pas un match où je n’ai pas fait d’erreur. C’est comme ça, c’est inhérent à la fonction d’arbitre.

« Tu peux mettre de la vidéo, des drones, des puces dans les ballons, il faut que les gens comprennent qu’à un moment ou un autre, ils seront confrontés à cette frustration de l’erreur d’un homme. Il vaut mieux l’accepter. Car si tu pars du principe que tu acceptes, tu as de l’empathie pour ça.

« Quand un arbitre entre sur le terrain, il ne se dit pas qu’aujourd’hui il va faire une erreur. Il essaie de rendre la copie la plus propre possible. Mais le jeu va tellement vite, il y a tellement de joueurs, de trafic… ça se passe très vite. Tu as une fraction de seconde pour prendre une décision qui parfois pèse sur le match. Et parfois tu te trompes, tout simplement. »

D’où vient ce parti-pris du public envers l’arbitre ?

« C’est très latin la manière relativement péjorative dont sont traités les arbitres en France, dans n’importe quel sport ; c’est très latin de faire ça. Les anglo-saxons n’ont pas cette vision de l’arbitre. Il y a énormément de respect par rapport à l’arbitre.

« Les arbitres anglo-saxons, quand ils viennent en France, sont surpris de cette hostilité à l’égard de l’arbitre, même si tu les préviens. Je connais ce contexte, j’y suis né, j’y ai grandi, j’ai évolué dedans, je connais. Mais eux, ils ne sont pas forcément habitués à ça. »

Comment expliquer que les arbitres semblent mieux considérés de l’autre côté de la manche ?

« Chez eux, l’arbitre va être l’égal d’un joueur, d’un entraineur. Il est très considéré dans le sport en lui-même. Il a une place prépondérante et il est très respecté, très considéré. En France, dans les pays latins, c’est pas comme ça, c’est culturel. J’accepte ça, c’est pas un souci.

« Mais on gagnerait à changer ça, à modifier cet angle de vue qu’on a sur l’arbitrage parce qu’il y a des choses humainement superbes dans l’arbitrage à vivre pour les mecs. On gagnerait en empathie à échanger, même avec le grand public, pour le bien de notre sport. On gagnerait en image aussi. On ne vaccinerait pas des gosses contre l’arbitrage.

« Un gamin qui a vécu la Coupe du Monde en France, avec ses yeux d’enfant, qui voit comment est traité l’arbitrage, je ne pense pas qu’il ait envie un jour d’essayer. Même si ça lui effleure l’esprit, à un moment ou un autre, il va se dire qu’il n’a pas envie de vivre ça. C’est l’image que ça lui laisse et je trouve que c’est un peu dommage.

« Je considère que c’est un sport de haut niveau. Et comme dans tout sport, tu as des gamins qui s’épanouiraient dedans comme moi j’ai pu le faire. J’aime profondément mon métier. Mais par un contexte pesant et hostile on empêche ça. »

Pouvez-vous nous parler un peu plus des projets autour de l’arbitrage que vous avez avec Romain Poite ?

« Avec Romain Poite, on est en discussion avec la fédération sur comment on pourrait travailler avec la fédération, comment notre expérience pourrait bénéficier auprès des jeunes arbitres du secteur professionnel. C’est ce qui est en discussion à l’heure actuelle. Rien n’est signé, rien n’est définitif, mais les discussions sont bien avancées.

« Que ce soit pour Romain ou pour moi, on a consacré une grande partie de notre vie à l’arbitrage. On a tous les deux aimé profondément ce qu’on a fait. C’est un peu comme notre seconde famille. Si on a cette opportunité-là, on en serait heureux tous les deux. »

Dans d’autre sports, à la fin du match l’arbitre peut être amené à être interviewé. Est-ce qu’on peut l’envisager dans le rugby ?

« C’est bien à dose homéopathique. La question est : pour quelle raison la presse va-t-elle vouloir interviewer un arbitre à la fin du match ? Si tout s’est bien passé, à 30-10 sans décision polémique, est-ce que la presse va demander une interview à l’arbitre ? Non. On en revient au même point : elle va cibler quelque chose qu’elle jugera potentiellement comme un point de départ d’une polémique. D’offrir cette opportunité-là de clarifier cette situation, c’est bien aussi. Mais il ne faut pas que ce soit tout le temps à charge contre les arbitres, sinon on met tout le temps en lumière les 10% d’erreurs. »

Quelle direction voudriez-vous que l’arbitrage prenne à l’avenir ?

« J’aimerais vraiment qu’on arrive à plus d’échange, à plus d’empathie les uns envers les autres. A la fois que nous, on comprenne la frustration des fans, mai que les fans comprennent la difficulté de notre métier, acceptent aussi parfois les erreurs ; pareil du côté des joueurs et des staffs.

« Qu’il y ait cet espèce d’équilibre, d’empathie les uns envers les autres et qu’on se laisse pas à aller dans la direction dans laquelle va la société en général où on condamne les gens, où on s’acharne sur une personne. C’est ce que je souhaiterais. Qu’on soit un peu un espace préservé de ces dérives-là. »

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J
JW 32 minutes ago
‘The problem with this year’s Champions Cup? Too many English clubs’

Yep, that's exactly what I want.

Glasgow won the URC and Edinburgh finished 16th, but Scotland won the six nations, Edinburgh would qualify for the Champions Cup under your system.

It's 'or'. If Glasgow won the URC or Scotland won the six nations. If one of those happens I believe it will (or should) be because the league is in a strong place, and that if a Scotland side can do that, there next best club team should be allowed to reach for the same and that would better serve the advancement of the game.


Now, of course picking a two team league like Scotland is the extreme case of your argument, but I'm happy for you to make it. First, Edinbourgh are a good mid table team, so they are deserving, as my concept would have predicted, of the opportunity to show can step up. Second, you can't be making a serious case that Gloucester are better based on beating them, surely. You need to read Nicks latest article on SA for a current perspective on road teams in the EPCR. Christ, you can even follow Gloucester and look at the team they put out the following week to know that those games are meaningless.


More importantly, third. Glasgow are in a league/pool with Italy, So the next team to be given a spot in my technically imperfect concept would be Benneton. To be fair to my idea that's still in it's infancy, I haven't given any thought to those 'two team' leagues/countries yet, and I'm not about to 😋

They would be arguably worse if they didn't win the Challenge Cup.

Incorrect. You aren't obviously familiar with knockout football Finn, it's a 'one off' game. But in any case, that's not your argument. You're trying to suggest they're not better than the fourth ranked team in the Challenge Cup that hasn't already qualified in their own league, so that could be including quarter finalists. I have already given you an example of a team that is the first to get knocked out by the champions not getting a fair ranking to a team that loses to one of the worst of the semi final teams (for example).

Sharks are better

There is just so much wrong with your view here. First, the team that you are knocking out for this, are the Stormers, who weren't even in the Challenge Cup. They were the 7th ranked team in the Champions Cup. I've also already said there is good precedent to allow someone outside the league table who was heavily impacted early in the season by injury to get through by winning Challenge Cup. You've also lost the argument that Sharks qualify as the third (their two best are in my league qualification system) South African team (because a SAn team won the CC, it just happened to be them) in my system. I'm doubt that's the last of reasons to be found either.


Your system doesn't account for performance or changes in their domestic leagues models, and rely's heavily on an imperfect and less effective 'winner takes all' model.

Giving more incentives to do well in the Challenge Cup will make people take it more seriously. My system does that and yours doesn't.

No your systems doesn't. Not all the time/circumstances. You literally just quoted me describing how they aren't going to care about Challenge Cup if they are already qualifying through league performance. They are also not going to hinder their chance at high seed in the league and knockout matches, for the pointless prestige of the Challenge Cup.


My idea fixes this by the suggesting that say a South African or Irish side would actually still have some desire to win one of their own sides a qualification spot if they win the Challenge Cup though. I'll admit, its not the strongest incentive, but it is better than your nothing. I repeat though, if your not balance entries, or just my assignment, then obviously winning the Challenge Cup should get you through, but your idea of 4th place getting in a 20 team EPCR? Cant you see the difference lol


Not even going to bother finishing that last paragraph. 8 of 10 is not an equal share.

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