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Philippe Saint-André : « j’ai dormi au-dessus de ma légende »

French Flair, Spécial Coupe du Monde de Rugby, épisode 1 avec Philippe Saint-André

Philippe Saint-André est un cas quasi unique. Après avoir été spectateur (1987), il a été successivement joueur (1991), capitaine (1995) et entraîneur du XV de France (2015) en Coupe du Monde de Rugby, vivant au total quatre éditions avec des fortunes diverses.

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Sa première expérience de Coupe du Monde, il la vit en 1987 derrière son écran de télévision. Philippe a tout juste 20 ans et déjà quelques années de rugby dans les jambes. « Je suis en voyage de fin d’année avec mon équipe de rugby universitaire », se rappelle-t-il pour World Rugby.

« On est en Martinique ou en Guadeloupe. Je me souviendrai tout le temps de cette finale parce qu’elle était avec le décalage horaire. À 6 h du matin, on n’avait pas dormi, mais on n’avait pas oublié le coup d’envoi. Je me souviens de cette finale, bien sûr, de la demi-finale avec la victoire contre l’Australie et l’essai de Serge Blanco. »

Blanco, la première grande vedette française du rugby international, incarnation du french flair, celui que tout le monde regarde et admire. Celui-là même qui dormira l’année suivante dans le lit situé au-dessous de Philippe Saint-André !

« Oui, c’est étonnant », en rigole encore l’actuel directeur du rugby du MHR. « C’était Jacques Fouroux qui entraînait à l’époque. J’étais en stage dans le groupe élargi de 48 personnes et Serge Blanco était dans ma chambre, là, sur un lit superposé, et je dormais au-dessus de ma légende.

« Au petit déjeuner, il était atypique, il mangeait du saucisson. Et j’ai dit : ‘Amenez-moi aussi du saucisson ! Peut-être que ça va m’amener du génie !’ C’était assez exceptionnel de voir des joueurs qui étaient pour moi intouchables. Et puis, quelques mois après, j’étais dans la chambre avec eux, je vivais avec eux. Et j’ai eu la grande chance de faire pas mal de matchs avec eux…

« Mais surtout, je n’aurais jamais pu imaginer que quatre ans après, je participe à la deuxième Coupe du monde de l’histoire et en tant que joueur de l’équipe de France ! »

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1991 : « J’ETAIS LE PUCEAU AVEC FABIEN GALTHIE »

Ça, c’est sa deuxième expérience en Coupe du Monde de Rugby. 1991, PSA est jeune. « Je me concentre à essayer de gagner ma place parce qu’il y a une génération derrière moi qui était une génération avec beaucoup, beaucoup de sélections », raconte-t-il.

« J’étais un peu le puceau avec Fabien Galthié autour de mecs qui avaient 50 ou 60 sélections. La préparation s’était bien passée et j’ai eu l’énorme chance d’avoir participé et d’avoir été titulaire tous les tous les matchs de la Coupe du monde. Hélas, on est parti trop vite. On est parti en quarts de finale au Parc des Princes contre nos meilleurs ennemis, les Anglais. »

Cette année-là, c’est effectivement aussi la première Coupe du Monde à laquelle participe Fabien Galthié, actuel maître du XV de France. « On est un peu les jeunes du groupe avec Jean-Luc Sadourny. Et les deux jouent à Colomiers », rappelle Saint-André.

« Derrière, les mecs avaient huit-neuf ans, dix ans de plus que nous. Donc automatiquement, tu te rapproches des personnes de ta génération. Et Fabien Galthié est titulaire dans cette Coupe du monde. Mais tout de suite, on a vu quelqu’un de doué, quelqu’un avec beaucoup d’aisance, quelqu’un de racé. C’était un joueur exceptionnel. »

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1991, c’est la deuxième Coupe du Monde de Rugby de l’histoire, quatre ans après que la France ait échoué en finale face à la Nouvelle-Zélande (29-9 à l’Eden Park). La France est attendue au tournant et compte déjà parmi les nations majeures, qui plus lorsqu’elle est co-organisatrice.

C’est aussi la dernière avant l’ère du professionnalisme ; aucun système de rémunération à destination des joueurs n’est en place. C’est pourtant une des promesses du président de la FFR Albert Ferrasse : donner 1 200€ à chaque joueur qui participera. Mais la promesse ne sera jamais honorée. Même les frais ne sont pas remboursés, comme les appels à l’étranger. En comparaison, même les Anglais posent trois mois de congés sans solde pour pouvoir jouer.

« C’était un rugby qui était de son temps, mais c’était un rugby rude, très, très frontal. On avait la chance d’avoir des joueurs comme Serge Blanco et des magiciens. On essayait de relancer, de continuer à amener cette culture de french flair. Mais après, on avait aussi de sacrés guerriers », se souvient Philippe Saint-André.

Jusqu’à ce 19 octobre 1991 et le quart de finale perdu 19-10 contre l’Angleterre. C’est le moment où tout explose. Les Anglais ont mis au point un plan anti-Blanco (dégoûté, il se réfugiera à Biarritz chez lui). C’est à cette occasion que Will Carling aura cette fameuse phrase : « Sorry, good game » qui, côté français, caractérisera toute l’arrogance des Anglais. Will Carling, devenu depuis un ami de PSA, se défendra plus tard de toute ironie.

« Je pense que pour moi, en tant que joueur, en tant que leader et après en tant que capitaine, c’est un match qui m’a fait grandir et qui m’a fait grandir rapidement. Parce que quand tu perds un quart de finale à domicile de Coupe du monde, tu te refais le film et tu te dis qu’est-ce qui n’a pas marché durant la semaine ou durant la préparation », s’interroge Saint-André.

1995 : « JE JOUE AU RUGBY, MAIS JE SUIS AUSSI BUSINESSMAN »

La Coupe du Monde de Rugby de 1995, Philippe Saint-André va la vivre avec encore plus d’émotion car il sera capitaine de ce XV de France qui se rend en Afrique du Sud pour un évènement historique qui révèlera la nation arc-en-ciel.

« On n’y va pas pour participer, mais on y va vraiment pour la gagner », assure Philippe Saint-André, rappelant qu’à cette époque c’est toute une génération qui vit son chant du cygne. « Si on doit en gagner une, c’est celle-là parce que c’est notre dernier coup de fusil. »

La Coupe du Monde de Rugby de 1995 est considérée comme la plus belle des Coupes du Monde. Le rugby a basculé dans le professionnalisme (mais la France n’est pas encore concernée), Jonah Lomu est une légende, Pierre Berbizier a pris sa revanche (écarté en 1991 il est entraîneur en 1995), Philippe Saint-André est capitaine (il sera entraîneur en 2011), Fabien Galthié n’est pas retenu initialement et s’engagera six mois à False Bay, un club en Afrique du Sud dont l’entraîneur est Nick Mallett (qui deviendra coach des Springboks en 1997 puis de l’Italie en 2007). Galthié sera rappelé en fin de tournoi pour remplacer Guy Accoceberry, blessé.

A ce moment-là, les Français ne sont pas encore pros. « Je joue à Clermont-Ferrand, j’ai une boîte de communication, je m’occupe du sponsoring du club, j’ai une brasserie, un restaurant, je gère 100 personnes. Je joue au rugby, mais je suis aussi businessman. Je dois gagner ma vie », rappelle Saint-André.

« Pour être honnête, quand on arrive en Afrique du Sud, on s’aperçoit vraiment qu’on est passé dans une autre dimension. C’est vrai qu’il y a eu une partie géopolitique qui était importante. Après, nous on était là pour essayer d’être champions du monde…

« Quand tu vois que l’Afrique du Sud est championne du monde et ce que ça a apporté au pays, tu te dis que c’est exceptionnel. Mais il me reste une image incroyable », dit-il alors que la France a perdu en demi-finale contre l’Afrique du Sud avant de remporter le match pour la troisième place contre l’Angleterre.

« On est tous au stade pour la finale, derrière les poteaux, tous debout. Et là, il y a les hymnes. Et je vois les joueurs en larmes qui me disent :’Philippe, on devrait être sur le terrain’. Et là, tu te dis que oui, même si ça a été beau pour l’Afrique du Sud. Ça a été un des matchs (la demi-finale perdue, ndlr) qui a été pour moi, en tant que joueur, le plus difficile à digérer. Parce que là, on était à ça d’une finale de la Coupe du monde. Après, on aurait peut-être perdu contre les All Blacks en finale de la Coupe du monde aussi… »

2015 : « MAIS PAPA, TU N’AS TUE PERSONNE »

Les éditions suivantes gagnent en puissance et le 22 août 2011, un nouveau trio d’entraîneurs prend la suite de Marc Lièvremont qui a mené la France en finale lors de l’édition 2011 : Philippe Saint-André, Patrice Lagisquet (actuel entraîneur du Portugal pour France 2023) et Yannick Bru.

Après une bonne entame, le mandat prend vite l’eau et les défaites s’enchaînent. Le mandat de Saint-André sera un long chemin de croix : 4e du Tournoi en 2012, 6e en 2013 (pour la première fois depuis 1982). La France est au terme de sa pire période avec seulement 44% de victoires ; le pire bilan d’un sélectionneur depuis 1991.

C’est le début des « défaites encourageantes » derrière lesquelles on se réfugie pour espérer mieux. On taxera Philippe Saint-André d’avoir lancé « l’ère de la lose ».

De l’extérieur, on a l’impression que rien ne va. Déjà, le contexte : aucun accord entre clubs et fédération pour préserver les joueurs, trop de joueurs étrangers dans le Top 14 à cette époque… Lui l’ancien entraîneur de Gloucester et des Sharks veut importer le modèle anglo-saxon mais n’y parvient pas.

En 2016, Philippe Saint-André confiait déjà à World Rugby : « L’Angleterre, j’y étais quand Clive Woodward a été champion du monde. C’était Woodward et le docteur de l’équipe nationale qui décidaient quand les joueurs anglais jouaient ou ne jouaient pas. Pendant le 6 Nations, c’est lui qui décidait quand les mecs devaient rentrer ou non. » En France entre 2011 et 2015, on a à des années-lumière de cette organisation.

Ensuite, le XV de France vit sa préparation physique la plus difficile pour tenter de gagner en compétitivité : trois mois d’enfermement à haute intensité, wattbike en hypoxie, un mini Tour de France en montagne et en VTT, un stage commando avec le GIGN…

Le clou, c’est aussi le camp de base en Angleterre à Croydon, pas du goût de tous, dans la campagne profonde. Et ce coup de grâce anecdotique qui est donné le 16 septembre. Alors que le XV de France dîne dans un restaurant de la commune, leur bus garé en face se fait verbaliser par la police locale. Vraiment, rien ne va.

Sauf peut-être les matchs. La France enchaîne trois matchs et trois victoires (Italie, Canada et Roumanie). Reste l’Irlande avant de boucler la Poule D ; ce sera une défaite 24-9 qui les condamnera à un quart de finale contre la Nouvelle-Zélande : quatre essais en première mi-temps et cinq en deuxième : score 62-13. Un naufrage.

« Je pensais qu’on était capable de gagner les Irlandais et de finir premier », soupire Philippe Saint-André. « Ça a été un dernier match de poule d’une intensité folle et on s’est auto-détruit parce que les Irlandais, après, ont pris 30 points contre l’Argentine. Et nous, on a pris 50 points contre les Blacks.

« C’est terrible à dire, mais les All Blacks, sur ces quatre ou cinq années, avaient mis 60 points à toutes les nations. Le seul problème, c’est qu’on les a pris en quarts de finale de la Coupe du monde. Les 20 dernières minutes étaient très longues…

« Quand tu es en charge d’une équipe et de l’équipe de France et que tu prends 50 ou 60 points contre les All Blacks, c’est normal que les gens soient frustrés, que les gens t’insultent, sifflent… Ça fait partie du jeu. C’est plus compliqué quand tu as ta femme, tes enfants qui sont dans le stade, que ton fils, qui est un peu jeune, te dit ‘mais papa, tu n’as tué personne’… Donc après, ce qui est important c’est d’essayer de préserver ta famille. »

L’exil de PSA aura duré quelques années avant qu’il ne revienne en France, entraîner Montpellier. « Et il y a trois ans et demi, on a été champion de France avec Montpellier. Comme on dit : après la pluie, le soleil revient. C’est aussi la beauté de la vie et la beauté du sport et surtout du sport de haut niveau ! »

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