Pourquoi le Racing 92 dépense beaucoup et gagne peu
Par Gavin Mortimer
La Premiership anglaise est en vacances depuis la fin du mois de janvier.
Le United Rugby Championship n’a pas eu autant de repos, mais avec seulement deux tours pendant le Tournoi des Six Nations, les équipes ont quand même eu tout le temps de se détendre et de se relaxer. Stuart Lancaster doit se languir de ces jours heureux lorsqu’il entraînait le Leinster.
Au lieu de cela, l’Anglais apprend que la vie dans le Top 14 est aussi impitoyable qu’implacable. Il n’y a pas eu de temps mort en février. Pour avoir du temps libre, il faudra attendre juillet.
Lancaster, qui a pris son poste d’entraîneur du Racing 92 l’été dernier, a entamé la nouvelle année avec un moral au beau fixe. Il s’était dit « ravi » d’avoir vu son équipe battre Castres et porter à quatre points son avance en tête du Championnat de France.
Depuis, le Racing n’a cessé de dégringoler, une descente qui a coïncidé avec le Tournoi des Six Nations. L’équipe s’est inclinée à Paris face à Toulouse, a subi une raclée 26 à 5 à Perpignan et s’est ensuite inclinée à domicile face à Montpellier, au Stade français et à Castres. Cette accumulation est particulièrement pénible pour le Racing qui a reculé à la septième place du classement et compte maintenant quinze points de retard sur les deux leaders, le Stade français et Toulouse.
Lors de la conférence de presse d’après-derby, Lancaster a été interrogé sur ce qui n’avait pas fonctionné.
« Les explications sont plus ou moins les mêmes que la semaine dernière, après la défaite contre Montpellier », a-t-il alors répondu. « Il nous manque des joueurs clés à des postes importants. Ce n’est pas souvent que je perds quatre demis de mêlée avant un match comme celui-ci, et nous avons été obligés de faire jouer (l’arrière) Max Spring à ce poste. Il en va de même pour la deuxième-ligne, où nous avons perdu quatre joueurs internationaux. Tout cela affecte notre cohésion. »
Pourtant, Lancaster ne s’en est pas si mal tiré lorsque Fabien Galthié a annoncé sa liste de joueurs convoqués pour le Tournoi des Six Nations. Il a sélectionné cinq joueurs du Racing 92, soit un de moins que La Rochelle et quatre de moins que le contingent toulousain.
Mais avec quelques blessures, le manque de profondeur de l’équipe du Racing a soudain été mis en évidence. Les choses ne vont pas s’arranger pour Lancaster à court terme : il a été vaincu par Bordeaux (21-5) et la semaine suivante, le Racing reçoit Toulon. Cinq défaites consécutives pourraient bien se transformer en sept défaites au moment où Lancaster retrouvera ses internationaux le week-end du 23 mars.
On ne peut que compatir avec Lancaster. Lorsque la nouvelle de son transfert a été rendue publique il y a dix-huit mois, j’ai demandé dans ces pages si l’ancien sélectionneur de l’Angleterre allait « enfin aider l’énigmatique club français à réaliser son potentiel ». Il y a sûrement peu de propriétaires plus patients dans le Top 14 que Jacky Lorenzetti, le magnat qui injecte de l’argent dans le Racing depuis près de vingt ans. En retour de son investissement, il ne peut se targuer que d’un seul titre majeur : le sacre en Top 14 en 2016.
Mais Lorenzetti est en grande partie responsable de cette contre-performance. Au fil des ans, il a signé une véritable galaxie de stars du rugby : Dan Lydiate, François Steyn, Jamie Roberts, Jonathan Sexton, Juandré Kruger, Finn Russell, Dan Carter, Pat Lambie et Kurtley Beale. Ils ont touché des salaires mirobolants – Steyn, par exemple, était réputé toucher 750 000 euros par saison lorsqu’il a rejoint le Racing en 2009, qui évoluait alors en ProD2. Pourtant, parmi tous ces joueurs, seul Dan Carter peut être considéré comme un bon rapport qualité-prix, puisqu’il faisait partie du XV qui a remporté le titre en 2016.
L’approche de Lorenzetti, qui consiste à essayer d’acheter le succès, contraste avec la manière dont Toulouse s’y est pris pour construire une génération. Malgré la perte du noyau dur de son quinze de départ pour satisfaire Galthié (sans oublier l’absence d’Antoine Dupont, désormais dans l’équipe de France de rugby à sept), Toulouse est sur une série de six victoires consécutives. Leur dernier succès est une victoire 33-6 face à Castres et avant, c’était contre Clermont, des adversaires beaucoup plus expérimentés.
Parmi les titulaires contre Clermont, on trouvait Kalvin Gourgues, 18 ans, à l’arrière, Paul Costes, 21 ans, au centre, et Baptiste Germain, 23 ans, à la mêlée ; la troisième-ligne comptait Leo Banos, 21 ans (également titulaire contre Bordeaux), et Mathis Castro-Ferreira, 20 ans, et en première ligne, le talonneur Guillaume Cramont, 23 ans, et le pilier Joel Merkler, 22 ans, tous deux alignés le week-end suivant contre l’UBB aussi.
La plupart de ces joueurs sont issus du système de formation toulousain, tout comme Josh Brennan, 22 ans, qui faisait partie de la deuxième-ligne contre Clermont et Bordeaux. Lorsque Brennan s’est entretenu avec RugbyPass en 2021, où il faisait référence à « l’ADN toulousain ». Il le définissait alors comme suit : « Ce qui est bien à Toulouse, c’est leur façon de jouer. Ils veulent que tous les jeunes jouent comme ils le font en équipe première. Ainsi, au fur et à mesure que vous avancez en âge à Toulouse, vous recevez les mêmes chances… et cela vous aide à vous intégrer, cela crée l’ADN toulousain dès le plus jeune âge ».
L’autre aspect du parcours de développement de Toulouse est qu’il crée une camaraderie dès le plus jeune âge. « C’est un facteur très important », estime Brennan. « C’est un peu comme une grande famille à Toulouse. Tout le monde s’entend bien, il n’y a pas de clivage entre les Français et les étrangers, tout le monde se mélange. »
Toulouse recrute rarement des stars étrangères. Le plus grand nom étranger qu’ils ont eu ces dernières années était Cheslin Kolbe, mais c’est Toulouse qui l’a transformé en star. Lorsqu’il les a rejoints en 2017, l’ailier sud-africain n’avait encore jamais été sélectionné avec les Springboks.
Toulouse est prudent avant d’ouvrir son chéquier ; ils ont donné à Jack Willis, le troisième-ligne aile anglais, un contrat de six mois lorsque les Wasps ont fait faillite à la fin de 2022. Lorsqu’ils ont aimé ce qu’ils ont vu, ils lui ont proposé un contrat de trois ans en mars 2023 et il n’a pas hésité à signer.
Quel que soit le salaire de Willis à Toulouse, il est loin de correspondre à ce que le Racing paie à Siya Kolisi ou à ce que gagnera Owen Farrell à son arrivée l’été prochain. Ce dernier devrait, selon les rumeurs, toucher un salaire d’un million d’euros par saison, une belle somme pour un joueur qui fêtera ses 34 ans en septembre.
Mais cet argent ne serait-il pas mieux dépensé en investissant dans la jeunesse, en essayant de créer un « ADN du Racing » ? Dans le XV de départ du Racing qui s’est incliné le 24 février face au Stade français, seuls trois joueurs avaient moins de 25 ans, et aucun d’entre eux n’était passé par la filière de développement du club.
Le Racing a battu Toulouse en quarts de finale sur la route du titre de 2016, saison au cours de laquelle il s’est également incliné en finale de la Champions Cup face aux Saracens. Toulouse a connu une période difficile : en 2016-17, le club a terminé 12e du Top 14, une place au-dessus de la zone de relégation.
Leur jeune entraîneur d’alors, Ugo Mola, était encore en train de trouver ses marques, et ils disposaient d’un effectif composé de jeunes pousses, d’inconnus tels que Julien Marchand, Cyril Baille, Peato Mauvaka, François Cros et Thomas Ramos.
Ces garçons sont devenus des joueurs qui ont depuis remporté trois titres du Top 14 et la Champions Cup en 2021. Le Racing n’a rien réalisé pendant cette période, si ce n’est faire les gros titres des journaux pour avoir recruté une autre grande star qui n’est plus dans la fleur de l’âge.
Si Lancaster veut réussir au Racing, il devra changer l’ADN d’un club qui a trop longtemps privilégié les investissements à court terme au détriment du développement à long terme.