Relance du rugby féminin dans les Balkans
Lorsque la Croatie a affronté la Bulgarie à Sinj le samedi 2 décembre, il s’agissait d’un événement historique pour les deux nations, car c’était la première fois que leur équipe féminine participait à un test-match officiel.
Le fait que la rencontre ait eu lieu est déjà remarquable en soi lorsque l’on sait qu’il n’y a que trois clubs de rugby en Croatie où l’on pratique le rugby féminin adulte, et qu’aucun d’entre eux ne joue à XV. Le paysage du rugby féminin en Bulgarie est tout aussi désertique.
Dans ces circonstances, comment ce match sans précédent a-t-il donc pu avoir lieu ?
Sur un coup de tête
Selon Petra Druskovic, l’entraîneure principale, les graines ont été semées lorsqu’une de ses amies de l’université d’Utrecht, aux Pays-Bas, a organisé un voyage en Croatie en mai 2022 et a demandé à jouer contre des équipes adverses.
« Je n’appellerais pas cela un projet, tout s’est passé spontanément », raconte-t-elle.
« Nous n’avions pas suffisamment de filles dans un club, alors je me suis dit que j’allais essayer de constituer une équipe issue des trois clubs que nous avons – l’un est à Split et les deux autres sont à 400 km de la capitale, Zagreb – et de jouer comme un XV de Croatie.
« J’ai été assez futée, j’ai organisé une sortie en bateau la veille du match et je savais comment ça allait se terminer ! Nous avons gagné le match, 24 à 12. Ça a allumé le feu chez les filles à propos du XV.
« Après cela, nous avons essayé de rassembler 15 filles pour pouvoir jouer un autre match. Malheureusement, nous n’avons pas trouvé d’autre équipe dans la région contre laquelle jouer. Ni la Bosnie, ni la Serbie, ni la Slovénie, ni le Monténégro ne jouaient à XV et seul le Monténégro avait une équipe de rugby à sept.
« J’ai alors parlé à Pavel Velkov, le représentant de la Fédération bulgare de rugby, et nous avons eu l’idée de nous affronter à domicile et à l’extérieur : La Bulgarie viendrait d’abord chez nous, puis nous irions en Bulgarie au Nouvel An. C’est ainsi que tout s’est passé. »
Apprentissage accéléré par Zoom
Alors que Druskovic avait des années de pratique de rugby derrière elle, principalement à sept dans le club de Nada, basé à Split, et à XV dans diverses équipes de type Barbarians des Balkans, son équipe croate, constituée à la hâte, avait très peu d’expérience à XV et, dans le cas de deux joueuses, aucune expérience de rugby du tout.
« Nous avions une réunion sur Zoom par semaine au cours de laquelle je leur montrais des matchs et leur expliquais les rôles des différents postes », explique-t-elle.
« Je m’inquiétais de savoir si elles seraient capables d’appliquer ces nouvelles connaissances sur le terrain, mais j’ai été énormément aidée par l’un des joueurs de l’équipe nationale masculine, un de mes amis qui s’appelle Ivo Peric. Il m’a aidé pour les touches et les mêlées, des domaines dans lesquels je peux m’améliorer en tant qu’entraîneur.
« Il y a tellement de choses sur lesquelles il faut se concentrer à XV, alors j’ai essayé de garder les choses aussi simples que possible et de les ramener à l’essentiel. »
Lors d’une journée pluvieuse à Sinj, la Croatie s’est montrée la meilleure des deux équipes et a pris une avance de 22 à 5 avant de conclure par une victoire de 37 à 5.
La capitaine Ela Avramovi?, originaire de la pittoresque île dalmate de Bra?, a marqué deux essais, tout comme Deliandra Garcia et Lara Josipovi?, tandis que Dubravka Kovac a également inscrit son nom sur la feuille de match.
Leur cœur sur le terrain
Petra Druskovic, qui a quitté le banc pour jouer les 10 dernières minutes en tant que remplaçante en première ligne, était fière de la façon dont le groupe s’est regroupé lors de cette journée riche en émotions pour toutes les parties concernées.
« La plupart du temps, nous étions en attaque, mais quand nous devions défendre, elles ont mis une très bonne pression sur la Bulgarie et se sont aidées les unes les autres. Je leur ai dit que j’étais très fière d’elles pour avoir appris autant de choses si rapidement après seulement trois séances pratiques pour passer du sept au XV.
« Elles ont fait tout ce que je leur demandais, elles ont mis tout leur cœur sur le terrain pour la Croatie et pour leurs familles, et pour toutes les personnes qui les a aidées à être là et à porter le maillot de l’équipe nationale.
« Nous sommes un petit sport d’équipe en Croatie, mais être dans l’équipe nationale, c’est toujours représenter son pays et je veux leur donner le sentiment qu’elles font partie d’un groupe unique.
« J’étais vraiment émue lorsque les hymnes nationaux ont retenti, lorsque le premier coup d’envoi a été donné et lorsque nous avons marqué notre premier essai.
« Ce terrain représente également beaucoup pour moi, même si je ne suis pas originaire de Sinj. Car c’est sur ce terrain que j’ai arbitré le premier match à XV en tant que femme en division nationale en 2015.
« Nous sommes encore un pays assez conservateur, donc personne ne voulait d’une fille qui n’avait jamais joué à XV pour arbitrer le match. Mais je me suis bien débrouillée et, plus tard, ils étaient tous contents. »
La promesse des Balkans
Petra Druskovic est une fervente supportrice des Springboks en raison de ses liens familiaux avec l’Afrique du Sud – par un cousin de sa mère – et a visité l’académie de rugby d’Afrique du Sud à Stellenbosch.
Cependant, son intérêt pour le rugby s’est éveillé lorsqu’elle a vu les Richmond Women jouer pendant son année sabbatique à Londres.
À l’époque, Petra jouait au handball, mais lorsqu’elle est retournée en Croatie pour étudier la kinésiologie, elle s’est aperçue qu’il y avait un terrain de rugby près de chez elle et s’est dit qu’elle allait essayer.
Elle est rapidement tombée amoureuse du rugby et, peu de temps après, elle entraînait des enfants au Nada RC et contribuait à encourager davantage de filles à pratiquer ce sport.
Elle a ensuite obtenu les qualifications d’entraîneur et d’arbitre, et elle fait maintenant tout son possible pour développer le rugby dans les Balkans.
Petra Druskovic défend avec passion les avantages que la pratique du rugby peut apporter, qu’il s’agisse du sentiment d’appartenance ou du point de vue du bien-être physique et mental.
« Je continue d’arbitrer, mais je me consacre davantage à l’entraînement et au développement du rugby féminin, non seulement en Croatie, mais dans toute la région », explique-t-elle.
Renouer avec le passé
« Je travaille très étroitement avec la présidente de Monténégro Rugby, qui est une fille qui jouait au rugby à l’époque où moi-même je jouais, et j’essaie aussi d’aider les filles de Slovénie à relancer leur équipe.
« Je sais qu’il est important pour nous d’avoir d’autres nations dans la région contre lesquelles nous pouvons jouer. »
Petra tient également à ce que le rugby féminin en Croatie renoue avec son passé.
Même si le rugby féminin a été pratiqué pour la première fois en Croatie il y a une vingtaine d’années, il n’y a que 50 à 60 joueuses actives aujourd’hui. Le sport en Croatie a besoin de quelqu’un qui a l’envie de Druskovic pour le faire avancer.
« Si je ne me trompe pas, c’est en 2001 que le premier club de rugby féminin a vu le jour en Croatie. Malheureusement, aucune de ces femmes n’est encore active aujourd’hui, ce qui est dommage.
« C’est pourquoi, après que la fédération a annoncé qu’on allait rejouer à XV, un grand nombre d’entre elles nous ont contactées pour nous féliciter et nous dire que ça leur avait rappelé des souvenirs.
« J’espère qu’à la suite de tout ça, je pourrai intégrer certaines d’entre elles dans l’équipe, pour m’aider à inciter les filles à jouer au rugby encore plus.
« Je crois que les Balkans sont faits pour jouer au rugby, c’est mon opinion. »