Ugo Mola est-il l'homme dont l'Angleterre a besoin pour se libérer du « carcan des datas » ?
Par Gavin Mortimer
Invité début septembre de l’émission ‘viàMidol’ sur la télé locale viàOccitanie, Ugo Mola a été interrogé sur la possibilité de diriger, un jour, l’équipe de France. « Ça ne m’attire pas plus que ça », a répondu l’entraîneur à succès du Stade Toulousain. « L’équipe de France parait aujourd’hui dans un mode de fonctionnement qui n’est pas celui dans lequel j’ai l’habitude de fonctionner, ou en tout cas pas celui dans lequel je pourrais être performant. »
Une nation de l’hémisphère sud, alors ? Après tout, Wallabies et All Blacks ne sont pas actuellement à la hauteur de leur histoire, et l’arrivée d’un technicien étranger pourrait constituer une solution.
« On est tous attirés par le rugby néo-zélandais », a commencé Mola. Avant de livrer une réflexion assez inattendue : « Mais étrangement, ça pourrait paraitre paradoxal, l’équipe d’Angleterre me parait être la plus traditionnelle, avec un vivier qui semble le plus performant. »
Dans une boutade, il a immédiatement désamorcé la petite bombe qu’il venait de lâcher. « J’ai été fâché très tôt avec Shakespeare, je manque un peu de ressources sur le sujet ».
Cependant, Mola pourrait avoir planté une graine dans l’esprit des patrons de Twickenham – pardon, de l’Allianz Stadium. De quel crédit dispose encore Steve Borthwick à la tête du XV de la Rose ? Le sélectionneur a traversé deux Tournois des Six Nations sans éclat (4e en 2023, 3e en 2024). Un 3e échec pourrait bien être celui de trop pour la Rugby Football Union (RFU, la fédération anglaise).
Depuis le début du siècle, les nations anglo-saxonnes ont fréquemment nommé des techniciens néo-zélandais ou australiens à la tête de leur sélection, mais jamais un Français n’a eu cet honneur. On se doute qu’une minorité de supporteurs anglais ne verraient pas l’arrivée d’une ‘French frog’ d’un bon œil. Un Australien, passe encore, mais un Français, Oh my God !
Étant donné la réussite qui fut la sienne, il est étonnant de constater que Philippe Saint-André est le seul entraîneur hexagonal à avoir eu sa chance en Premiership
Quand Arsène Wenger a été nommé manager d’Arsenal en octobre 1996, les réactions sont allées du scepticisme à la défiance avec en étendard la fameuse Une du London Evening Standard « Arsene who ? ».
Jamais un Français n’avait dirigé un top club anglais, et de nombreuses voix s’élevèrent contre cette nomination. « Qu’est-ce qu’il connait du foot anglais ? », avait par exemple persiflé Alex Ferguson, le mythique coach de Manchester United.
À vrai dire, Wenger n’y connaissait sans doute pas grand-chose, et c’était là l’une de ses plus grandes qualités. Son arrivée a apporté une vision nouvelle, façonnée durant sa carrière d’entraîneur en France et au Japon.
Il était épouvanté en voyant ce que les joueurs d’Arsenal mangeaient et buvaient. Exit, la bière, le steak-frites et le ‘jam roly poly with custard’ (un genre de gâteau roulé débordant de confiture, ndlr). Bonjour le poisson-vapeur, le riz et le brocoli.
L’Alsacien a instauré de nouvelles méthodes d’entraînement et de préparation physique, et a rapidement transformé ‘boring Arsenal’ en une des équipes les plus enthousiasmantes du royaume, auteur du doublé coupe – championnat en 1998 et 2002.
À la même époque, PSA devenait lui aussi le premier Français à diriger un club anglais dans l’élite. Il a emmené Gloucester en demi-finale de la Champions Cup en 2002, avant de rejoindre Sale. En 2006, les Sharks ont remporté le titre national. Le premier et, à ce jour, le seul de leur histoire.
Étant donné son succès, cela peut paraitre surprenant que Saint-André reste le seul et unique pionnier français dans le rugby anglais (à Gloucester de 1998 à 2002, puis à Sale de 2004 à 2009). Dans le football, Wenger a ouvert la voie à sept autres compatriotes, dont Gérard Houiller à Liverpool ou Jean Tigana à Fulham.
Cette saison, le Stade Toulousain apparait comme le grand favori à sa propre succession. Les ‘rouge et noir’ visent un 3e Brennus consécutif, ce qui n’est pas arrivé depuis les années 1990 quand… Toulouse en avait raflé quatre à la suite entre 1994 et 1997, à cheval sur la fin de l’amateurisme et les débuts du professionnalisme.
Difficile, en effet, de contester la suprématie toulousaine actuelle. Le club possède des joueurs de classe mondiale à tous les postes, tandis qu’une nouvelle génération pointe déjà le bout de son nez (Paul Costes, Théo Ntamack, Mathis Castro-Ferreira…) pour offrir une profondeur d’effectif encore accrue.
Ugo Mola a une large part de responsabilité dans cette dynamique. Il attaque sa 10e saison en tant que manager et a accompagné l’éclosion de nombreux joueurs, passés du statut d’espoir à cadres de l’équipe de France.
Récemment interrogé sur ce qui le maintient motivé alors que son club a remporté quatre des cinq derniers titres domestiques et deux Champions Cup, signant deux doublés au passage, Mola a répondu : « Ce qui nous motive, c’est qu’on a une génération incroyable, qui vient de gagner six titres, et on se dit : ‘Est-on capable de continuer à la nourrir, à ne pas la lasser ?’ »
Parmi cette génération gloutonne, on retrouve l’Anglais Jack Willis, désigné homme du match lors de la finale de Top 14 2023 remportée face à La Rochelle.
Interviewé par RugbyPass l’an dernier, le flanker avait expliqué son évolution en tant que joueur depuis son arrivée à Toulouse en provenance des Wasps, en dépôt de bilan.
« J’ai cherché à développer mes skills, ma capacité à passer après contact, à apporter quelque chose de plus. Je ne veux pas me limiter à un apport défensif, j’ai envie de développer ma palette offensive et avoir un rôle important dans le jeu d’attaque. »
Après cette finale, Mola n’a pas tari d’éloges sur l’apport de Willis. « Jack, on a l’impression qu’il est passé par notre école de rugby. Il écoute, il s’améliore et on se demande jusqu’où il est capable d’aller. »
Willis a confié que le Stade Toulousain était comme une grande famille. Le club est aux petits soins avec ses joueurs, des équipes de jeunes jusqu’au groupe professionnel.
Ugo Mola a une large part de responsabilité dans cette dynamique. Il attaque sa 10e saison en tant que manager et a accompagné l’éclosion de nombreux joueurs parmi lesquels Antoine Dupont, Romain Ntamack, Thomas Ramos, Cyril Baille, Peato Mauvaka et bien d’autres, passés du statut d’espoir à cadres de l’équipe de France.
Il connait les caractères de chacun, leurs forces et faiblesses aussi bien mentales que physiques. Et ces facteurs, en tant que coach, lui sont plus importants que les datas.
En novembre dernier, l’ancien trois-quarts polyvalent a participé à une conférence sur l’apport des nouvelles technologies dans le sport. Évidemment, a-t-il déclaré, que la data, notamment sur le domaine médical et les indicateurs de performance, constitue une aide précieuse.
« Mais ce ne sont que des aides à la décision », complétait-il. « Il ne faut pas oublier le contexte dans lequel on les prend ». Et le technicien d’illustrer ces propos par un exemple.
Quelques mois plus tôt, dans les dernières minutes de la finale du Top 14 2023, toutes les données indiquaient la nécessité de sortir Romain Ntamack. Mola a finalement décidé de le laisser sur le terrain.
Bien lui en a pris. « Quand il marque l’essai de la victoire à la 78e minute, il touche sa vitesse max absolue de la saison ! », informe le coach.
De son côté, le sélectionneur français Fabien Galthié accorde une grande importance aux données afin d’orienter ses choix de joueurs, avant et pendant les matchs. Quand la France gagnait la plupart de ses matchs, personne n’y voyait d’inconvénient, mais depuis la défaite en quart de finale de la Coupe du Monde face à l’Afrique du Sud, l’ancien demi de mêlée a dû faire face à beaucoup de critiques.
Les changements effectués en deuxième période ont suscité beaucoup d’incompréhension, notamment la sortie de Peato Mauvaka auteur d’une première heure de jeu de très haut niveau.
« Je pense que Fabien Galthié prend les gens pour des cons », a balancé sur Canal + Richard Dourthe, qui a joué avec l’actuel sélectionneur en équipe de France. « Il enfume tout le monde avec sa data. »
Steve Borthwick est également un fervent adepte de la data, ce qui lui a valu les foudres de Will Carling lors du Six Nations de la saison dernière. Selon lui, l’Angleterre jouait mal car engoncée dans un « carcan de data ».
Cela fait maintenant plusieurs années que le rugby pratiqué par l’Angleterre ne jouit d’aucune liberté. Son jeu est autant bridé que brimé. Et si les Anglais avaient finalement besoin d’un Français pour faire sauter le verrou des données ?
Cet article a été initialement publié en anglais sur RugbyPass.com et adapté en français par Jérémy Fahner.
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