Comment la FFR compte développer la marque France Rugby à l’international… sans vendre son âme au diable
C’est un paradoxe du monde du rugby : alors que la France doit être le pays au monde à attirer le plus de joueurs étrangers dans ses championnats, peu de Français font le chemin inverse. Si la motivation financière était importante il y a encore vingt ans avec le grand exode des Serge Betsen, Olivier Magne et Thomas Castaignède, c’est plus le défi sportif qui prime aujourd’hui, l’exil étant vu comme un moyen de se relancer.
C’est le cas du deuxième-ligne Côme Joussain (23 ans), déçu de ne pouvoir viser plus haut que Carcassonne (alors en Pro D2) qui se relance à Leicester. C’est le cas du pilier ex-Clermont Rabah Slimani (35 ans) qui s’offre un dernier défi au Leinster. C’est aussi le cas pour la French connexion qui essaime la Major League Rugby américaine sous l’impulsion de Nicolas Godignon.
Deux millions d’euros pour développer le rugby en Afrique
Au-delà des initiatives individuelles – ou plutôt en parallèle et pour renforcer ce phénomène ? – la Fédération Française de Rugby est en train de mettre au point un plan pour se développer à l’international. « Il y a une volonté marketing claire de faire connaître la marque France Rugby à l’international », confirme Florian Grill, président de la FFR, dans une interview exclusive à RugbyPass.
Actuellement, la fédé est sur le point de boucler un projet de développement du rugby en Afrique, mené conjointement avec l’Agence Française de Développement. Pourquoi l’Afrique ? Parce que le continent hébergera 40% de la population mondiale à l’horizon 2050.
La FFR envisage de consacrer un budget de deux millions d’euros à ce projet – à raison d’un million d’euros par an sur deux ans.
« On va envoyer des éducateurs, des entraineurs, des arbitres, des dirigeants, pour aller former des formateurs sur place et contribuer au développement du rugby en Afrique, notamment dans le rugby féminin et le rugby à sept car c’est plus facile et plus rapidement accessible », confirme Florian Grill qui ne compte pas limiter le soutien de la France à cette seule destination.
L’accent mis sur le rugby féminin aux USA
« On est aussi la seule fédération qui donne directement des subventions à Rugby Europe. On pense qu’il y a un gros potentiel de développement du rugby en Europe, notamment en Espagne et en Allemagne où 3,5 millions de personnes ont regardé la Coupe du Monde de Rugby 2023 », rappelle-t-il.
Même si la FFR a refusé la proposition de la Nouvelle-Zélande de jouer les All Blacks lors du troisième test de la tournée des Bleus en juillet 2025, les États-Unis restent néanmoins dans le viseur des Français, mais pas nécessairement sur le segment masculin du rugby.
« Je pense que le rugby féminin dans le monde universitaire est intéressant à creuser aux USA »
« Aux États-Unis, il y a un potentiel de développement, mais plus sur le rugby féminin que le masculin », développe le président de la FFR, conscient que face au basket (10 milliards) et au football américain (le double), le rugby est pour l’instant à mille lieues d’avoir de tels budgets pour s’imposer comme un sport majeur.
« Je pense que le rugby féminin dans le monde universitaire est intéressant à creuser. On peut avoir envie demain d’aller jouer des matchs aux États-Unis, mais plutôt avec des Barbarians qu’avec notre équipe de France. On cherche à installer, à développer la marque France Rugby à l’international, mais aussi à contribuer à développer ce sport à un niveau mondial. Paradoxalement, on n’est pas un sport global. »
La porte fermée à un fonds d’investissement… pour l’instant
Sans doute pour un retour sur investissement plus rapide, d’autres fédérations dans le monde ouvrent leur capital à des investisseurs étrangers. C’est le cas des All Blacks dont une partie de la marque est détenue depuis quelques années par un fonds d’investissement américain, ce qui pousse les hommes en noir à vouloir jouer de plus en plus aux États-Unis.
C’est le cas de la SARU qui fait actuellement monter les enchères autour des Springboks – ils viennent de refuser une proposition à 75 millions de dollars.
Pour l’heure, la FFR, pourtant présidée par un entrepreneur, n’envisage pas de prendre cette voie-là.
« Je suis un entrepreneur dans le civil. Je travaille avec des fonds d’investissement, mais dans un monde qui est celui de l’entreprise où il y a une cohérence économique. Le sport, c’est pas ça. Je n’ai pas été favorable à l’entrée du fonds d’investissement CVC dans le Tournoi des Six Nations », balaie d’un revers de main Florian Grill.
« Le rugby a besoin de dégonfler la bulle »
« Le rugby vit au-dessus de ses moyens, dépense l’argent qu’il n’a pas. Toutes les nations supposées riches du rugby – la France, l’Angleterre, la Nouvelle-Zélande… – perdent de l’argent.
« Si vous redescendez au niveau du Top 14, les clubs font 66 millions d’euros de déficit cumulé. La Pro D2, c’est 15 millions d’euros de déficit cumulé. La Nationale, vous avez des clubs comme Hyères-Carqueiranne et Blagnac qui déposent le bilan. Idem Dijon sur la N2.
« Il n’y aura pas de fonds d’investissement qui rentrera dans la Fédération Française de Rugby »
« Le rugby a besoin de dégonfler la bulle. Je plaide dans les discussions avec la Ligue Nationale du Rugby pour la baisse du salary cap. On a tiré l’économie du rugby trop haut avec une conséquence majeure. C’est que à trop tirer l’économie du rugby, on fait disparaitre le rugby des villages et des villes moyennes qui n’ont pas la capacité des zones de chalandise pour suivre. Et on empêche aussi le développement des nations du tier 2, du tier 3 et quelque part de nations du tier 1 qui n’ont pas la capacité à suivre.
« On a une responsabilité collective à ne pas gonfler la bulle à l’infini mais au contraire à arriver à une économie raisonnable et à ne pas tomber dans des excès qui seraient défavorables au développement du rugby en France et dans le monde.
« Alors non, il n’y aura pas de fonds d’investissement – en tout cas sous ma gouvernance – qui rentrera dans la Fédération Française de Rugby. »
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