Comment le petit général Le Garrec a inspiré la France du Dr Jekyll et Mr Hyde
Ce dimanche après-midi, le Principality Stadium a été le théâtre d’un match entre deux nations qui n’ont aucune chance de remporter le trophée des Six Nations, mais la tension y était palpable. Après la défaite du Pays de Galles (24-45), le sélectionneur gallois Warren Gatland n’était pas d’humeur à attendre que le dispositif d’après-match de la BBC veuille bien libérer l’antenne. Il s’est simplement retiré lorsque personne ne semblait prêt à commencer une interview.
Gatland est revenu plus tard pour parler au diffuseur national après avoir donné son avis à la chaîne galloise S4C. Aurait-il été plus patient si le Pays de Galles avait gagné au lieu de subir sa quatrième défaite consécutive ? C’est fort possible. Mais c’est là l’effet d’une pression extérieure impitoyable, appliquée au sommet du rugby.
Son homologue français, Fabien Galthié, qui avait mené son pays à sa période la plus prospère depuis plus de 15 ans avant la Coupe du Monde de Rugby 2023, se trouvait également soumis à un stress similaire avant le match. Les Bleus rencontraient des difficultés pour de multiples raisons, notamment en raison de l’absence d’Antoine Dupont en raison de son implication dans le rugby à sept. C’est alors que les archives ont été ressorties, ainsi que les anecdotes peu flatteuses de l’époque où Galthié entraînait en club.
Galthié le tyran
Johnnie Beattie, ancien troisième-ligne écossais devenu excellent analyste et commentateur, s’est souvenu avec regret de son expérience avec Galthié dans le Top 14 à Montpellier en 2020.
« D’abord, c’est le meilleur entraîneur technique avec lequel j’ai travaillé », a-t-il expliqué sur BBC Sport. « Il était absolument fantastique, en avance sur son temps, mais il avait du mal à gérer les joueurs.
« Il avait du mal à être quelqu’un de correct, quelqu’un avec qui on a envie de travailler. Les gens étaient séduits par le rugby fantastique que nous pratiquions, mais pas par la culture ou l’atmosphère qu’il instaurait.
« Je me souviens de [l’entraîneur adjoint] Mario Ledesma hurlant à un pilier droit, lors d’une séance de mêlée, de tenter de pousser la mêlée en avant – pour aller chercher le cheeseburger de l’autre côté, en le qualifiant de gros porc. Je souris maintenant, mais à l’époque, c’était une humiliation totale.
« Certaines personnes ont capitulé et sont parties assez rapidement – quelques internationaux sont venus et sont repartis au bout de deux ou trois mois. Beaucoup ont perdu confiance en eux, ont eu besoin de s’échapper ou ont été victimes de vexations.
« Galthié était un véritable Jekyll et Hyde lors des séances d’entraînement, car il était exceptionnel sur le plan technique, mais également capable de briser les relations personnelles et le moral de l’équipe. Je peinais à comprendre sa manière de fonctionner avec les autres. »
Exorciser avec du sang neuf
Beattie a passé huit ans en France, ce qui lui a donné l’avantage de s’adapter plus facilement à l’environnement d’entraînement rigoureux que Galthié cherchait à instaurer. Cependant, alors que l’équipe nationale traverse des difficultés, le souvenir de Mister Hyde l’emporte sur celui de Docteur Jekyll. La mémoire collective est sélective et fluctue en fonction du succès. Remportez une victoire et vous deviendrez un héros ; subissez une défaite et tous les secrets remonteront à la surface.
Galthié, lui-même demi de mêlée directif et autoritaire à l’époque où il jouait, avait la pression de prouver que la France ne pouvait pas se passer de son petit général au poste de neuf. De plus, les souvenirs tenaces de la dernière Coupe du Monde devaient être dissipés, ce qui ne pouvait se faire qu’avec un renouveau. À mon sens, la sélection de Nolann Le Garrec du Racing 92 à la place de Maxime Lucu de l’UBB dans le XV de départ a été la clé de ce redressement. La France avait besoin de l’énergie et de la rapidité du jeune joueur à la base du ruck pour revitaliser une attaque en difficulté qui n’avait réussi à marquer que cinq essais au cours des trois premiers matchs.
Dans un récent article, je terminais avec les mots suivants : « Dans de telles circonstances, il faut souhaiter que la France en particulier, et le rugby amateur en général, puissent voir ce que Le Garrec a à offrir – dès le début, libéré des chaînes du banc : ‘vole comme le papillon, pique comme l’abeille’, jeune homme ».
Dimanche, le magnifique papillon et l’abeille en colère se sont tous deux envolés, nous offrant ainsi un spectacle où le jeune espoir du rugby français s’est déchaîné avec force et détermination. La vivacité de l’esprit libre de Le Garrec a illuminé le match, alors qu’il amorçait la difficile mission de transformer son prédécesseur en un maître d’œuvre tactique plutôt qu’un tyran absolu.
Qu’il n’y ait aucun doute, Mister Hyde rugissait toujours, voire grondait dans les entrailles du rugby français. Le puissant côté droit de la mêlée des Tricolores, avec les 290 kg combinés de Uini Atonio et d’Emmanuel Meafou, surplombait à peine les deux finisseurs, le pilier droit Georges-Henri Colombe (142 kg) soutenu par les 135 kg du robuste Romain Taofifenua. Gatland a minimisé le défi lorsqu’il a finalement pris la parole sur la BBC : “Ils ont mis notre mêlée sous pression, ce qui est un aspect sur lequel nous avons beaucoup travaillé, mais nous ne sommes probablement pas encore prêts à ce stade.”
Le pauvre Gareth Thomas, le pilier gallois, a rapidement réalisé qu’il devait s’éloigner autant que possible d’Uini et de Georges-Henri.
Cependant, Le Garrec a été le véritable facteur décisif, apportant une nouvelle dynamique à l’attaque française. Le temps de possession active des Bleus est passé d’une moyenne de 17,7 minutes au cours des trois premiers matchs à 20 minutes contre le Pays de Galles. Ils ont réalisé 20 rucks de plus [passant d’une moyenne de 86 rucks par match à 106], tandis que le rythme des sorties de ruck a augmenté de 10 % et le nombre de franchissements nets est passé de 4,3 à sept. Avec de telles statistiques, il n’est pas étonnant que le Pays de Galles ait perdu les 25 dernières minutes sur le score de 25-0.
Une rareté
Le jeune joueur du Racing est une rareté – une véritable triple menace dans la course, la passe et le jeu au pied. Ses coups de pied de renvoi ont systématiquement franchi la ligne médiane, ne laissant aucune opportunité réaliste de retour.
Le dernier week-end du Tournoi des Six Nations se conclut en apothéose avec le match entre la France et l’Angleterre au Parc Olympique de Lyon le 16 mars en fin de journée. Les deux nations montrent des signes de renouveau après avoir réussi leurs phases offensives à Twickenham et à Cardiff lors de la quatrième journée.
Le titre de meilleur match du Tournoi a peut-être déjà été attribué au match Angleterre-Irlande, mais cette finale dans l’ancienne capitale de la Gaule le talonne de près. Les deux pays se sont redressés après avoir connu une baisse de régime pendant la majeure partie du Tournoi.
Le profil médiatique des entraîneurs en lice est en jeu. Si la France perd, Galthié sera de nouveau représenté comme un tyran plutôt que comme un sauveur, un Mister Hyde plutôt qu’un Docteur Jekyll, tandis que l’entraîneur de l’Angleterre retombera dans le conservatisme de Steve Borthwick, l’indolent. Ce ne seront pas des portraits justes, comme Gatland le sait trop bien, mais dans une compétition où la mémoire est courte et la patience encore plus.