Il faut s’interroger sur le « break » d’Owen Farrell
Owen Farrell fait un break. Mercredi 29 novembre, son club des Saracens a publié un communiqué annonçant la nouvelle. Une pause de ses activités à l’international – donc avec la sélection de l’Angleterre et des British & Irish Lions – mais pas de son club, pour une durée indéterminée. Ainsi, le joueur de 32 ans aux 112 sélections veut préserver sa santé mentale et celle de sa famille.
Qu’on apprécie le joueur ou pas n’est pas la question. Et franchement, on s’en cogne. Ce qui pose un sérieux problème, c’est comment en arrive-t-on à ce genre d’extrémités juste parce que la pression du buzz est trop forte. Va-t-on continuer à casser des carrières suite aux flots de haine impunis qui se déversent sur les réseaux sociaux ?
Selon le Irish Independent, Owen Farrell, qui ne participera donc pas au Tournoi des Six Nations 2024, ne serait pourtant pas près de revenir si tôt. « L’Angleterre doit jouer contre le Japon et deux tests contre la Nouvelle-Zélande en juillet et il est presque certain que le joueur de 32 ans ne sera pas de la partie. De sérieux doutes planent également sur la probabilité d’un retour pour les séries d’automne de l’année prochaine, avec des tests contre la Nouvelle-Zélande, l’Australie et l’Afrique du Sud », anticipe le média irlandais.
Sifflé au Stade de France
La dernière fois qu’on avait croisé Owen Farrell, c’était au Stade de France, juste après la victoire de l’Angleterre sur l’Argentine dans la finale de bronze (26-23). Pendant toute la durée de la rencontre, Farrell avait été copieusement sifflé chaque fois qu’il apparaissait sur les écrans de Saint-Denis par une grosse partie des supporters, Anglais compris.
Lorsque lui avait été posée la question en conférence de presse juste après, il avait fait mine de balayer ce phénomène, genre il relativisait. « Je ne suis pas surpris. Lors du Tournoi des Six Nations, c’est pareil. C’est toujours un peu différent de botter ici, en France. Mais ce n’est pas un problème », avait-il alors répondu dans un sourire jaune.
Reste que cet épisode semble l’avoir marqué au point de vouloir faire « un break ». L’homme au regard d’acier n’est pas de bois.
« Nous sommes des êtres humains »
« C’est probablement une surprise pour beaucoup, mais c’est bien pour lui », a déclaré Malins, l’arrière de Bristol au lendemain de l’annonce.
« Je pense qu’il est injustement traité par les médias et les supporters. Nous sommes tous des êtres humains. Pour quelqu’un qui prend de tels coups sur un certain laps de temps, il y a des conséquences à un moment donné, donc c’est bien pour lui.
« Cette saison, il n’y a pas de rugby de club pendant le Tournoi des Six Nations, il serait donc bon qu’il prenne une véritable pause loin du rugby et qu’il se ressource complètement.
« Je ne doute pas que le compétiteur qu’il est, le leader et le joueur qu’il est, se remettra à 100 % de cette épreuve et reviendra aussi bon qu’il l’était. »
Une analyse corroborée par Mark McCall, le directeur du rugby des Saracens. « La personne qui est dépeinte et qui a été dépeinte de temps en temps dans les médias au fil des ans n’est pas la personne que je connais. Un récit a été créé et lancé, et il existe depuis un certain temps. Il y a des limites à ce que l’on peut supporter », dit-il.
« Il est remarquable qu’il ait joué comme il l’a fait pendant la Coupe du monde, si l’on tient compte de ce qu’il ressent. C’est une personne qui est au sommet de son rugby en ce moment, et pourtant on lui a fait ressentir, à lui et à sa famille, ce qu’ils ressentent. C’est une honte. »
« C’est un jour triste pour le rugby et pour le sport de voir quelqu’un de l’envergure d’Owen devoir prendre la décision de s’éloigner de la scène internationale juste pour protéger sa famille. C’est allé trop loin », a écrit Warren Gatland, le sélectionneur du Pays de Galles, dans The Telegraph.
Honte, « disgrace », « disgusting », sont les mots qui revenaient lors de la publication de cette annonce par ceux qui ont travaillé avec Owen Farrell.
Ça reste un jeu, bordel !
Une situation qui n’est pas sans rappeler les épisodes malheureux qu’ont vécus les arbitres tout au long de la Coupe du monde, que ce soit Ben O’Keeffe après l’élimination de la France en quart de finale face à l’Afrique du Sud ou bien Wayne Barnes après avoir arbitré la finale ou encore Tom Foley, l’arbitre vidéo de cette ultime rencontre. Tous trois ont été menacés de mort et harcelés.
Dénonçant une « ambiance ignoble au Stade de France », la propre femme de Wayne Barnes avait posté sur les réseaux sociaux le fameux message « c’est juste un jeu, b*rdel ! » avant de tirer un trait sur le tournoi mondial : « À bientôt, la Coupe du monde. Tu ne me manqueras pas, ni les menaces de mort ! »
Même si World Rugby semble avoir pris des mesures pour limiter ce genre de menaces et de harcèlement, aucune issue judiciaire n’a été pour l’instant médiatisée, si bien que le sentiment d’impunité continue à pousser les plus acharnés à poursuivre dans cette voie.
« Le rugby devrait sans doute faire quelque chose », s’emporte Mark McCall. « C’est un signal d’alarme pour toutes les parties concernées, car il n’est pas possible qu’un arbitre soit confronté à ce que Wayne a vécu et il n’est pas possible qu’un joueur – une personne – comme Owen soit confronté à ce qu’il a vécu, sur une période plus longue.
« Ce n’est pas la charge émotionnelle liée au fait de jouer beaucoup qui a créé ça, c’est quelque chose de complètement différent.
« Nous n’avons aucun contrôle sur les réseaux sociaux. Pour moi, tout a commencé dans les médias grand public – pas de la part de tout le monde – et dans le récit qui a été fait autour d’Owen. Et puis il y a eu un emballement sur les réseaux sociaux. Il y a des gens dans l’industrie des médias qui doivent se remettre en question. »