Je veux des sous-vêtements et des housses de couettes à l'effigie de Louis Bielle-Biarrey !
Par Graham Simmons*
Si le Tournoi des Six Nations 2025 m’a appris une chose, c’est que j’ai besoin de plus de Louis Bielle-Biarrey dans ma vie. Beaucoup plus. Je veux une tasse à son effigie, une carte bancaire estampillée « La Banque Bielle-Biarrey », une chaîne télé LBBTV en continu. Je veux que la vitesse de la lumière (C = 1 / ??? × ??) soit rebaptisée C = LB². Je veux des produits dérivés à la pelle : des sous-vêtements, des housses de couette, et surtout un casque de mêlée rouge, qu’il pleuve ou non.
Je veux vivre à côté de LBB à l’UBB. Je veux qu’il épouse ma fille !
J’en fais trop, là ? Peut-être un peu. L’aveu d’un vieux con cherchant désespérément à injecter un peu d’enthousiasme et de sens dans son existence ? Je ne nierai pas. Et si, après réflexion, offrir sa fille comme un trophée médiéval est une idée totalement déplacée – et je m’en excuse, mea culpa –, en revanche, pour les housses de couette et les sous-vêtements, je ne plaisante pas.
Par où commencer ? Par son accélération supersonique ? Par cette vitesse pure qui semble défier les lois de la physique ? Ses fibres musculaires de type IIb devraient être étudiées en laboratoire ! Une seconde, il est là, juste devant vous ; la suivante, il ne reste qu’un courant d’air et un trait d’union. Il peut déposer un défenseur plus vite qu’une décharge de 20 000 volts et, vu qu’il ne trottine pas vraiment, une fois lancé, il n’est plus qu’un mirage. Louis « Bip-Bip » Biarrey.

Et ses skills ? Il distribue des passes propres et précises des deux mains, peu importe où il se trouve dans le triangle arrière. Il peut déposer un ballon au millimètre. Il peut taper à 40 mètres ou, comme il l’a prouvé en Italie sur le deuxième essai de Léo Barré, réussir un coup de pied rasant avant de récupérer le cuir comme si de rien n’était. Il peut capter et transmettre d’une seule main, en déséquilibre, dans le même mouvement – encore contre l’Italie – et faire passer des défenseurs chevronnés pour des sacs d’os rouillés. Il est la réponse de la poésie à la prose.
Mais ce qui le distingue vraiment, ce sont ses qualités incoachables. Cette capacité instinctive à ne pas être là où le ballon est, mais là où le ballon sera dans cinq secondes. Ses courses de soutien et ses feintes en disent long sur son rythme de travail, mais aussi sur son intelligence de jeu : il sent l’espace, devine l’ouverture, et surtout, il sait conclure. À gauche, à droite, en l’air, au sol, peu importe. Qu’il ait deux centimètres pour passer ou que le ballon rebondisse comme un ricochet, sa coordination œil-main fait paraître l’impossible d’une simplicité déconcertante. Sauf que, bien sûr, ça ne l’est pas.
Dans le jeu aérien, il compense son gabarit léger – il y a plus de viande sur une guêpe – par une détente exceptionnelle et un timing parfait
Et puis il y a son altruisme. Il pourrait marquer à chaque occasion, mais s’il y a un coéquipier mieux placé, il n’hésitera pas à lui offrir l’essai. Dans le jeu aérien, il compense son gabarit léger – il y a plus de viande sur une guêpe – par une détente exceptionnelle et un timing parfait. Et en défense ? Son sens du placement et sa technique font plus que compenser les kilos en moins.
Quant à cette passe croisée pour Damian Penaud, depuis l’ombre de sa propre ligne d’en-but contre l’Irlande… Du génie. Mais surtout, cette capacité à voir l’option simple que personne d’autre ne détecte avant qu’elle ne devienne une évidence.
Et dire que le gamin n’a que 21 ans ! Imaginez dans cinq ans !
Samedi au Stade de France, tout était réuni. L’essai record de Bielle-Biarrey en début de seconde mi-temps a balayé la nervosité des Français. Son mouvement soyeux et son offload – qui lui a aussi permis d’inscrire un nouveau record d’essais – ont offert à Yoram Moefana l’essai du titre. Ajoutez à cela un plaquage bien senti sur Finn Russell, qui a expédié l’Écossais dans une autre époque, et, une fois de plus, le spectacle était total.

Le reste de l’équipe de France a été moins parfait. Ces nouveaux rois d’Europe, mérités, ont été sacrés sans éclat, en remportant un match où il a surtout fallu appuyer là où ça faisait mal. Et ils ont eu de la chance, notamment avec ce carton jaune ridicule contre Peato Mauvaka. Mettre un coup de tête hors de l’action, c’est rouge direct. Si la révision en bunker sert d’échappatoire aux arbitres – et tout porte à le croire – il faudrait peut-être songer à s’en débarrasser.
L’Écosse, elle, a été fabuleuse. Chiante, certes, mais fabuleuse. Elle sème énormément, mais récolte si peu que même ses joueurs doivent finir par se demander pourquoi. Individuellement, il y a eu des héros, notamment les frères Fagerson, mais le simple fait qu’ils aient dû jouer les 80 minutes dit tout. L’Écosse manque de profondeur. Et dans un rugby où, comme la France l’a prouvé, la profondeur fait désormais la différence, ça finit toujours par se payer.
À Cardiff, l’Angleterre a été absolument terrifiante, preuve que, comme la faillite, la richesse arrive d’abord progressivement… puis d’un seul coup. Mise au défi par Steve Borthwick de « jouer gros », elle a répondu avec une performance monumentale. Ce jour-là, elle a semblé plus française que la France. Après des années à se faire reprocher d’être une coquille vide, elle a enfin offert la consistance que les supporters – et, à voir leurs visages, les joueurs aussi – attendaient. Le tweet post-match d’Ellis Genge, cinglant comme un coup de serviette : « À tous ceux qui nous ont soutenus pendant ce tournoi, merci, on s’est régalés aujourd’hui. Pour le reste de la vieille bande, vous savez quoi faire » – résume parfaitement cette revanche éclatante.
To everyone who’s been behind us this tournament, thank you, enjoyed that today. For the rest of the old mob, you know what to do 🍋 😍
— Gengey (@EllisGenge) March 15, 2025
L’Angleterre n’a pas seulement écrasé le Pays de Galles, elle a aussi pris toute la place dans la sélection des Lions. L’ensemble du pack sera au cœur des débats, Fin Smith frappe à la porte avec une telle force qu’il pourrait bien l’enfoncer, et George Ford, en 20 minutes de jeu, a laissé une impression à la fois intrigante et marquante. Certes, Ford s’est déjà pointé chez Andy Farrell avec un maillot de St Helens – réponse immédiate : « Enlève ça ou dégage » – mais on espère que c’est de l’histoire ancienne. Verdict en mai.

Pour le Pays de Galles, le désespoir est total. Preuve numéro un : la photo d’Adam Jones dans le couloir après le coup de sifflet final. Si vous ne l’avez pas vue, disons simplement que le pauvre gars a l’air d’avoir creusé jusqu’au 101e sous-sol. Les occasions de la première période ont été gâchées – Blair Murray semble maudit – et, aussi puissante soit l’énergie émotionnelle, elle ne peut pas faire de miracles face à un rouleau compresseur. Dans ce combat de tranchées, les Gallois n’ont tout simplement jamais réussi à avancer. Comment vont-ils régler ce problème – ou leurs innombrables autres soucis ? La réponse n’est pas évidente, mais la WRU va devoir souffler un bon coup et agir. Vite.
Adam Jones channelling the nation pic.twitter.com/Fa1wQNKQme
— Louise_Pullen 🇹🇷❤️🏴 (@Louise_Scarlet1) March 15, 2025
L’Irlande aussi a de quoi cogiter. Certes, elle repart de Rome avec un bonus offensif et une collection d’essais refusés, mais les plans de coupe montrant un Simon Easterby dépité en disent long. L’Italie a pris deux cartons jaunes stupides, un rouge de 20 minutes, perdu trois cadres sur blessure en une demi-heure… et pourtant, elle a failli l’emporter en toute fin de match.
« Désarticulée » résume bien la performance irlandaise. Et son Tournoi, d’ailleurs. Sa tentative d’inscrire son nom dans l’histoire a échoué, et l’absence de titre lui coûte un joli pactole : six millions d’euros qui, espérons-le, n’étaient pas déjà budgétés par l’IRFU. Ajoutez à cela plusieurs de ses candidats aux Lions qui risquent de passer sept semaines à ruminer… et des moins de 20 ans qui terminent bons derniers du Tournoi. Il y a de quoi se poser des questions.
L’Italie reste fascinante. Chaque essai qu’elle a inscrit dans ce Tournoi – et si ma mémoire est bonne, même le dernier – a été un petit feu d’artifice. Capuozzo, Brex, Menoncello, Ioane… Tous ont signé des finitions éclatantes. Mais pas un seul de leurs essais n’est venu d’un pick-and-go. Ni d’un catch-and-drive. Pas un.
Capuozzo 🔗 Varney @Federugby answer back with a try 🔥#GuinnessM6N pic.twitter.com/vexT2AQykq
— Guinness Men’s Six Nations (@SixNationsRugby) March 15, 2025
Sur les dix essais marqués, un seul avant a contribué : Ross Vintcent, qui file plus vite qu’un pur-sang et l’a prouvé avec son galop de 40 mètres à Twickenham contre l’Angleterre. Et ça résume parfaitement le problème. Comme l’Écosse, comme le Pays de Galles : pas d’impact, pas de profondeur, pas de miracle.
La France décroche donc le titre, comme beaucoup l’avaient prédit. Et avec l’Angleterre et l’Irlande au programme à domicile l’an prochain, les pronostics d’un Grand Chelem vont fleurir. Mais ce Tournoi des Six Nations met en lumière un fossé grandissant entre ceux qui ont de la puissance à revendre et ceux qui en manquent. Rien de nouveau – le rugby a toujours été un sport de collision –, mais l’ampleur avec laquelle les équipes les plus puissantes en tirent profit, avec des bancs en 7-1 ou 6-2, ressemble à une vraie mutation du jeu.
Raison de plus pour savourer les petits gabarits comme Louis Bielle-Biarrey – ou, comme l’appelle Shaun Edwards, « Looey Bell-Berry ». En attendant, j’espère recevoir mes sous-vêtements LBB avant vendredi.
Ce texte, publié initialement sur RugbyPass.com, a été adapté en français par Willy Billiard.
*Graham est aujourd’hui entraîneur de rugby, mais il a passé 25 ans comme reporter rugby pour Sky Sports, couvrant les tournées des Lions, les matchs de l’Angleterre, la Heineken Cup, le Top 14, la Premiership et le Pro 14. Il a également commenté pendant dix ans des tournois de golf comme la Ryder Cup, l’US Open et l’USPGA pour Sky.
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