Le banc en 7-1, ou 'bomb squad', va-t-il contre l’esprit du jeu ?
Lancé par l’Afrique du Sud et utilisé avec succès depuis deux matchs par l’équipe de France, le banc comprenant sept avants suscite le débat et n’a pas que des partisans.
Pendant longtemps, la composition du banc des remplaçants d’une équipe de rugby a eu quelque chose d’immuable : un joueur par poste de la première ligne, un deuxième ligne, un troisième ligne, un demi de mêlée, un demi d’ouverture et un trois-quarts si possible polyvalent.
Soit cinq avants et trois trois-quarts, ce qui présentait l’avantage de couvrir tous les postes et de pallier les blessures ou la fatigue. A contrario, un ou deux joueurs pouvaient être sous-utilisés, voire ne pas quitter le banc, notamment sur les postes de la charnière.
C’est là la réflexion originelle qui a mené au passage à six avants pour seulement deux trois-quarts. « Avoir des joueurs des lignes arrière de rechange sur le banc, ce n’est utile qu’en cas de blessure ou de mauvais match. Laisser un trois-quarts sur le banc, c’est comme gaspiller une cartouche », estimait l’an dernier Rassie Erasmus, le sélectionneur sud-africain qui a popularisé le banc en 6-2 pendant la Coupe du Monde 2019.
Les Springboks sont même les premiers à avoir osé le 7-1, quatre ans plus tard. C’était en match de préparation à la Coupe du Monde 2023, et ils avaient explosé la Nouvelle-Zélande 35-7 à Twickenham, boostés par l’entrée en jeu d’un pack tout neuf ou presque en début de deuxième période.
Ils avaient réitéré l’expérience durant le Mondial, notamment en match de poule contre l’Irlande (défaite 8-13) puis en finale contre ces mêmes All Blacks, battus d’un cheveu mais battus quand même (12-11).
Le ‘bomb squad’ « montre la puissance et l’importance des avants »
« Cela montre la puissance et l’importance des avants », abondait il y a quelques mois Stuart Lancaster, alors manager du Racing 92. « Ça dépend des joueurs à disposition. Je ne l’ai jamais fait (…) mais ça a l’air de marcher. »
Depuis, quelques (rares) équipes ont tenté ce pari. L’UBB en Top 14 cette année contre un Stade Rochelais réputé pour son gros pack (défaite 22-32). Et désormais l’équipe de France, deuxième équipe majeure à tenter cette stratégie, ce qu’elle a fait lors de ses deux dernières sorties. Pour des victoires impressionnantes, 73-24 en Italie et 42-27 en Irlande.
L’impact du bomb squad à la française a été particulièrement flagrant à Dublin. Galthié a fait entrer cinq avants à la 48e minute alors que le score était de 15-13 pour les Bleus. Moins de 20 minutes plus tard, la marque avait enflé à 35-13.
« Tu ne peux pas vraiment faire un banc en 6-2 ou 7-1 si tes avants ne sont pas d’un niveau très proche les uns des autres », prévient toutefois Erasmus, qui ne néglige pas le risque de manquer de trois-quarts un jour ou l’autre.
Cela aurait d’ailleurs pu coûter cher aux Bleus samedi, quand ils ont perdu sur blessure leur demi de mêlée Antoine Dupont et leur trois-quarts centre Pierre-Louis Barassi. Mais à la manière de Kwagga Smith pour l’Afrique du Sud ou de Sekou Macalou pour les Bleus, le 3e ligne Oscar Jegou a évolué dans les lignes arrière sans dénoter.
« Quand on envisage ce genre d’option, c’est un risque », avait reconnu Laurent Sempéré, l’entraîneur des avants français, avant le déplacement à Rome. « Mais tout est risqué. Jouer en 5-3, c’est risqué aussi. Ce sont des partis pris. »
Townsend : « Le banc des remplaçants n’a pas été mis en place pour qu’un nouveau pack entre soudainement en jeu »
Alors, le banc en 7-1 serait-il l’arme ultime ? Des voix s’élèvent cependant pour dénoncer cette tactique. « Si vous voulez mon avis, je ne pense pas que le banc ait été mis en place pour qu’un nouveau pack entre soudainement en jeu », estime Gregor Townsend, cité par The Telegraph.
Le sélectionneur de l’Écosse a dû y faire face au cours de la tournée d’automne face à l’Afrique du Sud, et ce pourrait encore être le cas samedi pour le dernier match du Tournoi des Six Nations 2025 face à la France.
L’ancien sélectionneur de l’Écosse et entraîneur du Leinster Matt Williams, devenu un consultant écouté en Irlande, s’inquiète lui des conséquences sur la sécurité des joueurs.
« Les remplaçants existent car il y a eu des cas de tétraplégies et de blessures graves dans les années 1980 et 1990 », rappelle l’Australien dans le podcast Off the ball. « Le banc a été mis en place pour mettre un terme à cela, pour que les joueurs puissent être remplacés à des postes où ils ont été formés et qui ne présentent pas de danger. »
Réglementer la composition du banc, voire réduire le nombre de remplaçants ?
Cette remarque s’adresse plus pour les divisions inférieures ou le monde amateurs que les top teams mondiales, mais met en avant un rugby à deux vitesses, où les règles ne seraient pas les mêmes pour tout le monde.
Une remise en cause de l’esprit du jeu, en quelque sorte, dont Townsend s’est fait le porte-parole puisque d’autres nations lui auraient emboité le pas selon The Times. Car beaucoup de nations n’ont pas les moyens de « s’offrir » un bomb squad, faute de joueurs suffisants.
Dès lors, faut-il réglementer et obliger les équipes à installer deux, voire trois joueurs des lignes arrière sur le banc ?
L’ancien international irlandais Keith Wood va même plus loin et propose un banc comprenant seulement cinq joueurs. « On sait que pour les petits pays, c’est beaucoup plus compliqué d’aligner huit remplaçants de haut niveau. Donc je ne suis pas fan de ça », exprime l’ancien talonneur, désigné meilleur joueur du monde en 2001, dans le podcast Off the ball.
« Selon moi, il faudrait trois joueurs de première ligne, pour des raisons de sécurité et de protection des joueurs, un avant polyvalent et un trois-quarts polyvalent. Je pense que cela suffirait. »
Le débat est ouvert.
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