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Le rugby ukrainien « a perdu tellement de joueurs à cause de cette guerre »

RUGBY IN UKRAINE

Le 22 février 2022 a marqué le jour de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Depuis plus de deux ans, un pays prospère est englouti par la guerre, paralysant son développement social, économique ou encore sportif. Et le rugby n’a pas fait exception. Les matchs sont suspendus pour une durée indéterminée. Des joueurs ont été tués, d’autres ont été contraints de fuir. Les terrains, les installations, les stades ont été détruits par les missiles, plongeant un peuple entier dans un futur sombre et incertain.

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Cependant, à l’image du tournesol, la plante nationale, les acteurs du rugby ukrainien ont réussi à émerger des décombres. Ce qui semblait hautement improbable est finalement devenu l’histoire d’une résistance. Le message est clair : ils continueront à se battre pour de meilleurs lendemains.

« Officiellement, depuis le début de l’invasion et de la guerre, aucun de nos clubs n’a fermé ses portes. La plupart croient que la situation va revenir à la normale tôt ou tard, ce qui peut paraitre un peu bizarre », explique Iryna Arkhytska, manager générale de la fédération ukrainienne, à RugbyPass.

« Évidemment, l’activité des clubs a souffert, surtout dans les catégories de jeunes, car on a dû reporter et/ou annuler les compétitions. On a traversé une période d’adaptation, à l’image du championnat masculin de 1re division, stoppé l’année de l’invasion, mais qui a repris depuis 2023. Notre préoccupation première, c’est la sécurité des joueurs et les instructions sont claires : en cas d’attaque imminente, on doit aller se mettre à l’abri. On a appris à s’adapter à cette période particulière de notre vie.

Avant l’invasion russe, le rugby ukrainien connaissait un essor jamais vu jusqu’alors. Il a dû se montrer créatif pour permettre à ses compétitions de se poursuivre. Le RC Olymp, l’un des clubs les plus populaires du pays, est basé dans la ville de Kharkiv, qui a subi de lourds bombardements. C’est là-bas que se tenaient les centres d’entraînement des équipes nationales à XV et à VII avant que le rugby ne se mette en veille.

« Par bonheur, en 2024, un groupe d’anciens joueurs a mené la fusion du RC avec un autre club, créant ainsi une équipe de Kharkiv qui représente toute la région », poursuit Arkhytska. « Ce qu’ils ont fait est une source d’inspiration, car Kharkiv a été prise pour cible tous les jours depuis le début de la guerre, et la plupart des infrastructures de la ville ont été détruites. »

« En dépit de la douleur et de la tristesse, ils parviennent à s’entraîner, et montent une équipe qui participera au championnat ukrainien qui aura lieu en juin. Kharkiv était un pôle incontournable du rugby ukrainien : on y formait les arbitres, organisait des événements jeunes ou seniors formidables, et produisait beaucoup de futurs joueurs. Donc pour eux, surmonter tous les obstacles et trouver un moyen de continuer à jouer, c’est inspirant. »

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Le joueur du Leinster Alex Soroka (à gauche) est né en Irlande de parents ukrainiens (Photo By Harry Murphy/Sportsfile via Getty Images).

Fait remarquable, les 43 clubs qui existaient avant la pandémie de Covid-19 et l’assaut russe sont toujours en activité. Vadym Sivak, capitaine de l’équipe nationale à XV et à VII, a trouvé dans le rugby une source de force et de courage au cœur de la violence de la guerre.

« Durant les premiers mois, personne ne comprenait ce qui se passait dans notre pays », se remémore Sivak. « La communauté rugbystique était au point mort, comme tout le reste. Au bout d’un certain temps, on a pu jouer, juste entre nous, dans mon club de Podilla et ça nous a rappelé que le rugby serait toujours là pour nous, même lorsque la guerre fait rage dans notre pays. »

L’équipe féminine de Sevens a su saisir sa chance en remportant l’European Trophy Series en juillet dernier, avec à sa tête la capitaine Nataliia Mazur, fidèle à son poste depuis plus de dix ans.

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« Avant toute chose, je pense que c’est notre amour du rugby et le désir de défendre l’honneur de notre pays avec dignité », répond Mazur lorsqu’on lui demande comment l’équipe a continué à avancer. « Nous sommes fières les unes des autres et très unies. Je suis extrêmement fière d’avoir pu représenter et défendre mon pays. »

Les hommes ne sont pas en reste : à XV, ils ont décroché la 2e place du Rugby Europe Trophy en 2023, avant d’être relégués en Conférence cette année. Le Rugby Europe Trophy est l’équivalent de la 3e division européenne, derrière le Rugby Europe Championship qui compte par exemple le Portugal et la Géorgie, et le Tournoi des Six Nations.

« Ce ne serait pas juste et même dangereux de faire venir une équipe en Ukraine en ce moment. On ne peut pas faire courir des risques à nos adversaires et amis »

« C’est compliqué de demander à des joueurs de laisser leur famille derrière eux, d’aller faire un stage hors d’Ukraine et des allers-retours tout en s’inquiétant de la sécurité de leur famille », soutient Iryna Arkhytska. « Malgré les contraintes, ils sont allés chercher la 2e place du Trophy en 2023, nos équipes de Sevens masculine et féminine ont été promues en Rugby Europe Trophy Sevens Series, ce qui suffit à démontrer l’amour dont ils font preuve pour l’Ukraine et pour le rugby. »

Aucun match des différentes équipes nationales n’a pu avoir lieu sur le sol ukrainien depuis 2022. Elles disputent leurs matchs « à domicile » en Croatie ou en République tchèque, deux pays qui ont accueilli leurs voisins à bras ouverts, comme le fait remarquer Arkhytska.

« Ce ne serait pas juste et même dangereux de faire venir une équipe en Ukraine en ce moment. On ne peut pas faire courir des risques à nos adversaires et amis. »

« Même loin de chez eux, les Ukrainiens ont lutté jusqu’au bout pour éviter la relégation du Rugby Europe Trophy l’an dernier et cette année. Ils n’ont jamais abdiqué : comme l’explique Sivak, porter le maillot ‘ciel et jaune’ est plus fort que tout.

« Je suis sûr que tous les sportifs ressentent la même chose : la chair de poule. Je verse toujours des larmes lorsque l’hymne commence, car je sais que nos soldats se battent pour nous. Cela nous incite, mes coéquipiers et moi, à jouer du mieux possible et à travailler dur pour eux, car ils méritent notre respect. »

Mais de bonnes nouvelles arrivent pour le rugby ukrainien. Une partie des infrastructures détruites par les missiles russes a été reconstruite, dont le stade Dynamo à Kharkiv. Les financements publics et privés sont en hausse pour mettre sur pied des installations plus nombreuses et de meilleure qualité.

Les marques de soutien à l’Ukraine se sont multipliées dans les stades de rugby , comme ici à l’Aviva Stadium avant la rencontre Irlande – Italie du dernier Tournoi des Six Nations (Photo by David Rogers/Getty Images).

« Notre ministre des sports a doublé les subventions allouées à la fédération, et depuis cette année, on dispose de cinq équipes nationales totalement financées : les équipes masculines seniors à XV et VII, l’équipe féminine senior de Sevens et deux équipes U18, garçons et filles », apprécie Arkhytska. « L’inflation et la guerre ont freiné leur développement et pour le moment, on ne peut pas constituer une équipe féminine à XV car cela excèderait notre budget. C’est une situation compliquée, mais on recherche des solutions en permanence. La Nouvelle-Zélande nous a aidés par exemple, et a apporté quelques idées sur lesquelles on va travailler très prochainement. »

L’Ukraine a perdu 500 licenciés au cours des deux dernières années, rabotant de 30 % sa base de joueurs. Bien qu’il ait été impossible de retenir la plupart de ces joueurs, certains ont été contraints de renoncer à représenter l’Ukraine en raison d’une loi relative à la guerre.

« Les hommes entre 18 et 65 ans doivent se rendre dans un centre militaire pour mettre à jour leurs données et se tenir prêts à intégrer l’armée », poursuit Arkhytska. « Tout le monde n’est pas fait pour être soldat, et certains de nos joueurs préfèrent ne pas répondre aux convocations car s’ils jouent pour l’équipe nationale, ils seront découverts et forcés de s’enrôler. »

« Nous avons fait la demande auprès du ministre de la Défense de déroger à la règle pour ces jeunes joueurs, afin qu’ils puissent aller à l’étranger si jamais ils doivent rejoindre une équipe nationale et qu’ils ne risquent pas d’être obligés d’incorporer l’armée. Ils méritent la chance de devenir professionnels. Nous comprenons l’effort de guerre, mais nous avons de bons joueurs qui pourraient participer à la gloire de l’Ukraine en jouant pour les couleurs de leur pays.

« Malgré les difficultés, les obstacles, les problèmes, la tristesse et le stress, la communauté du rugby dans le monde entier doit comprendre que nous n’abandonnerons pas »

Malheureusement, la guerre a coûté la vie à de nombreux joueurs.

« Plusieurs joueurs du championnat ukrainien sont morts », regrette Sivak. « C’est difficile à accepter. Il y a quelques jours, Volodymyr Yavorskiy, joueur du Kyiv RC Antares, nous a quittés, et je ne peux l’accepter. On a perdu tellement de proches, et tout ça à cause de cette putain de guerre. Désolé pour la vulgarité, mais je n’ai pas d’autres mots pour exprimer à quel point c’est révoltant. »

Malgré les doutes, les questions et les inquiétudes, la Fédération ukrainienne a trouvé de nouvelles voies pour faire avancer le rugby. Des festivals et des séminaires ont été organisés, le rugby a été introduit dans de nombreuses écoles à travers le pays et les enseignants ont demandé plus d’équipement pour répondre à l’intérêt croissant.

« C’est devenu un projet très populaire à travers tout le pays, et on a pu monter une compétition inter-écoles et on espère que ce sera le début de quelque chose de grand », s’enthousiasme Arkhytska.

« Le rugby est considéré comme un sport complet, en ce sens qu’il vous aide à vous développer mentalement et physiquement, et qu’il vous livre des leçons importantes sur le travail en groupe. Il est attractif pour les enfants et je pense que nos perspectives d’avenir sont immenses.

« On sait à quel point c’est capital de maintenir le rugby ukrainien vivant, et j’espère que les gens voient tous ces passionnés de rugby dans notre pays. Malgré toutes les difficultés, les obstacles, les problèmes, la tristesse et le stress, la communauté du rugby dans le monde entier doit comprendre que nous n’abandonnerons pas. »

Invités à transmettre des messages à l’ensemble des joueurs, les deux capitaines, Vadym Sivak et Nataliia Mazur, partagent le même désir de mettre fin à la violence et à la destruction.

« La seule chose que je veux dire, c’est merci à tous ceux qui ont apporté leur aide et leur soutien à l’Ukraine », assure Sivak. « Ce sont des gestes que nous apprécions vraiment. Tout ce que je souhaite, c’est la paix et une vie heureuse, pas la guerre sur notre planète. »

« Un ciel bleu et paisible pour l’Ukraine : c’est tout ce que je souhaite aux Ukrainiens », ajoute Mazur.

Cet article a été publié en anglais sur RugbyPass et adapté en français par Jérémy Fahner

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