Les All Blacks peuvent-ils revenir au top sans Beauden Barrett en 10 ?
Par Gregor Paul
Beauden Barrett pouvait-il s’attendre à redevenir le premier choix au poste de demi d’ouverture des All Blacks en 2024 ? Cela semble assez improbable. Et même s’il en rêvait peut-être secrètement, il devait sans doute se dire que cette perspective paraissait impossible ou presque.
Il faut dire que le contexte et les critères jouaient en sa défaveur. Il y a non seulement son âge, 33 ans, qui représente tout de même un risque en vue de la Coupe du Monde 2027. Il y a aussi le fait qu’il avait opté pour une année loin du Super Rugby, faisant jouer sa clause sabbatique pour faire une pige au Japon.
Et pendant qu’il portait le maillot des Toyota Verblitz, Damian McKenzie conduisait les Chiefs en finale du Super Rugby, tandis que le 10 des Blues Harry Plummer conduisait son équipe au titre. Et on le sait, les sélectionneurs des All Blacks doivent prendre en compte les joueurs qui brillent en Super Rugby.
Enfin, la dernière inconnue résidait dans la manière dont Scott Robertson allait mener son groupe, alors qu’on prêtait à ‘Razor’ et ses adjoints la volonté de construire et de faire grandir un groupe rajeuni.
Quand Barrett a été retenu dans la première liste des All Blacks cette année, ce n’était pas nécessairement parce que le staff lui offrait un bail sur le long terme avec les hommes en noir. Il fallait plutôt voir ça comme une règle tacite appliquée aux joueurs expérimentés engagés sur le long terme avec la fédération : ils retrouvent la sélection une fois de retour de leur pige sabbatique.
Barrett ne pensait sûrement pas à tout cela en juillet. En tant que joueur le plus capé de l’équipe, il a abordé les tests de juillet avec pour seul objectif d’aider à gérer la transition engagée par le nouveau staff et l’équipe à se renouveler.
Son rôle, tel qu’il le percevait, consistait à encadrer les autres, être un relais des entraîneurs et faire le maximum pour maintenir les All Blacks sur la bonne voie.
« Avec tous ces changements, je considère qu’il est de ma responsabilité de participer à cette transition », déclarait-il justement.
Borthwick : « L’impact qu’a eu Beauden Barrett sur les vingt dernières minutes de ces deux tests… C’est l’un des meilleurs joueurs du monde, il est phénoménal. »
« Il s’agit d’un groupe entièrement nouveau, et on s’attendait à ce que la transition ne se fasse pas sans heurts. Il est donc important que les leaders trouvent des solutions aux problèmes, s’adaptent et évoluent. »
À ce moment-là, difficile de croire que Barrett était destiné à jouer un rôle important sur la pelouse. La preuve avec la première composition d’équipe délivrée par Robertson pour affronter l’Angleterre. McKenzie était aligné au poste de 10 et Stephen Perofeta, qui revenait tout juste de blessure, a été titularisé à l’arrière. Barrett, lui, était sur le banc.
Rebelote la semaine suivante, malgré une entrée en jeu convaincante. Entré en jeu à une demi-heure de la fin, il a changé le cours du match et a offert la victoire aux All Blacks. Le sélectionneur anglais Steve Borthwick l’a lui-même reconnu.
« L’impact qu’a eu Beauden Barrett sur les vingt dernières minutes de ces deux tests… C’est l’un des meilleurs joueurs du monde, il est phénoménal. »
« Il a eu une influence majeure sur le match, je crois que tout le monde a pu s’en rendre compte. »
Cela semble peut-être une évidence, mais il fallait que quelqu’un d’autre que les médias néo-zélandais ou la communauté All Blacks le dise. Beauden Barrett demeure bel et bien un joueur incroyable.
Et il fallait le dire, car Robertson et son staff ne voyaient pas les choses de la même façon. Ils avaient clairement misé sur McKenzie, un joueur de 29 ans qu’ils espèraient transformer en un demi d’ouverture de classe mondiale d’ici 2027.
Aligner Perofeta à l’occasion du premier test était un autre message fort : la volonté de disposer de plus d’options à l’arrière, tout en gardant à l’esprit que Will Jordan serait de retour sur les terrains début août.
Avec Barrett en 10 contre l’Australie, la Nouvelle-Zélande a disputé 80 minutes cohérentes en attaque, affichant plus de certitudes et de confiance pour la 1re fois de l’année
Barrett semblait destiné à regarder les autres jouer, jusqu’à ce qu’il produise deux performances brillantes qui ont rebattu les cartes.
Il a débuté le test suivant au poste d’arrière contre les Fidji, et même lorsque Jordan est revenu, il est resté à son poste. Sans lui, les All Blacks n’étaient plus la même équipe.
On ne parle pas là uniquement de son jeu au pied, de son habileté sous les ballons hauts, ou de sa capacité à gérer les ailiers. Il s’agit de son sens tactique, de sa capacité à surgir sur le premier receveur, à prendre la bonne décision. Et, surtout, la façon qu’il a de soulager McKenzie d’une partie de la gestion du jeu.
Il a suffi qu’il ne joue pas contre l’Australie à Sydney pour que cela éclate au grand jour. Malade, il n’était pas sur la feuille de match de la première manche de la Bledisloe Cup. Sans lui, McKenzie a complètement perdu le fil en deuxième période. Les All Blacks, qui menaient 21-0 au bout de 16 minutes, ont finalement arraché la victoire 31-28.
La décision de mettre McKenzie au repos pour le deuxième test face aux Wallabies et d’aligner Barrett à l’ouverture avait été prise de longue date. Ce choix a figuré un tournant non seulement pour cette saison, mais aussi pour le cycle de la Coupe du monde, car il a ouvert l’esprit des entraîneurs sur la possibilité de devoir reconsidérer la meilleure option à long terme au poste de 10.
Barrett n’était pas le choix N.1 à l’ouverture en vue de la prochaine Coupe du Monde ? La victoire 33-13 qui a suivi a sans doute amené à réviser ce jugement. Car pour la première fois de l’année, la Nouvelle-Zélande a disputé 80 minutes cohérentes en attaque, affichant plus de certitudes et de confiance.
Barrett n’a pas surjoué, s’assurant que les All Blacks jouaient les bons coups dans les bonnes zones et maintenaient la pression au bon moment.
Il a joué simplement, minimisant les prises de risque et permettant ainsi aux hommes de Robertson de produire des séquences plus longues et plus précises. Résultat, l’effondrement auquel on avait assisté dans toutes les autres rencontres du Rugby Championship une fois l’heure de jeu passée n’a pas eu lieu.
En juillet dernier, rien n’indiquait que Beauden Barrett pouvait figurer ce que Robertson appelle le « franchise quarterback ». Mais nous voici à la veille de la tournée des All Blacks au Japon et en Europe et il se pourrait bien que cela redevienne une possibilité.
Avec des rencontres prévues consécutivement contre l’Angleterre, l’Irlande et la France, Robertson pourrait bien être tenté d’aligner le joueur aux 131 sélections à chaque fois. Cela pourrait lui traverser l’esprit que la Nouvelle-Zélande ne peut pas gagner contre les meilleures équipes sans sa gestion du jeu, son approche à moindre risque et sa capacité à fluidifier l’attaque.
Pour donner corps à cette hypothèse, McKenzie est sorti du banc pour les 20 dernières minutes à Wellington et a montré qu’il était tout à fait apte à endosser le rôle d’impact player.
Barrett : « Le fait de me marier et d’avoir mes filles a mis beaucoup de choses en perspective sur ce qui compte dans la vie. Ce qui est difficile, c’est que les enfants grandissent et on commence à rater pas mal de choses. Ils commencent à se demander ‘Pourquoi Papa n’est pas là ?’, et c’est ce qu’il y a de plus dur. »
Il reste une question en suspens : Beauden Barrett lui-même se voit-il capable de maintenir son niveau de performance et de motivation jusqu’en 2027 ?
« Je prends les saisons les unes après les autres désormais », a-t-il confié. « Je donne le maximum pour la Nouvelle-Zélande, mais il n’y a aucune garantie que j’aille aussi loin.
« Le fait de me marier et d’avoir mes filles a mis beaucoup de choses en perspective sur ce qui compte dans la vie. Ce qui est difficile, c’est que les enfants grandissent et on commence à rater pas mal de choses. Ils commencent à se demander ‘Pourquoi Papa n’est pas là ?’, et c’est ce qu’il y a de plus dur.
« Cela signifie que lorsque l’on part, cela doit avoir du sens et que cela en vaille la peine, que ce soit plus utile.
« L’envie est toujours là, mais je dois tenir compte de ma famille, de mes performances et de mon envie. En fin de compte, c’est à cela que cela se résumera, et si la flamme brûle toujours en moi.
« Mon corps va bien, ma tête va bien, mon cœur va bien, ma famille est heureuse. Si mes performances sont bonnes et que je suis sélectionné [avec les All Blacks], une année en entraîne une autre et avant qu’on s’en rende compte, la Coupe du Monde est dans un an et tout est ouvert. »
Cet article a été initialement publié en anglais sur RugbyPass.com et adapté en français par Jérémy Fahner.
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