Les Bleuets champions du monde : "si ça peut inspirer les grands..."
Après avoir manqué de peu le titre au Tournoi des Six Nations U20 cette année face à l’Irlande, le rugby français attendait avec impatience de voir si la génération actuelle de jeunes pouvait égaler les générations de 2018 et 2019 et devenir elle aussi championne du monde chez les moins de 20 ans.
Alors que les 2003 et 2004 s’apprêtaient à suivre les traces de Romain Ntamack et Louis Carbonel, ces gloires passées auraient pu peser lourd sur les épaules des joueurs de Sébastien Calvet, mais ces minots ont largement relevé le défi et ont même surpassé leurs prédécesseurs grâce à un rugby de contre-attaque époustouflant.
La France a été tellement impressionnante et clinique qu’elle a marqué plus d’essais dans le tournoi 2023 (36) qu’en 2018 et 2019 combinés et n’a manqué que cinq essais pour battre le record historique de 41 de la Nouvelle-Zélande, établi en 2017.
Et en battant l’Irlande 50-14 en finale, les Bleuets ont porté leur total de points à 255 – un autre nouveau record pour une équipe, 202 en 2009 étant le précédent record pour une seule édition du Championnat des moins de 20 ans. C’était une belle façon pour eux d’oublier leur défaite 33-31 contre l’Irlande en février.
Pour le sélectionneur Sébastien Calvet, les quatre mois qui se sont écoulés depuis le Tournoi des Six Nations U20 ont été consacrés à la réduction de l’effectif à 30 joueurs, ce qui n’était pas une mince affaire compte tenu de la richesse des ressources à sa disposition.
« Nous avons construit une équipe, ce n’était pas facile. On a fait le Six Nations avec beaucoup de joueurs. Et parce que les meilleurs jouaient pour leur club professionnel, on a essayé 47 joueurs durant le Six nations et seulement 30 pour le Championnat U20 », raconte-t-il.
« Le choix était difficile car nous avons beaucoup de bons joueurs en France. Et après, avec ces 30 joueurs, nous avons bien travaillé petit à petit jusqu’à gagner cette Coupe du Monde. Nos joueurs sont fantastiques et je suis très heureux d’eux. »
LE POINT DE BASCULE
La France a inscrit 11 essais pour démarrer sa campagne en beauté avec une victoire 75-12 sur le Japon, qui lui a permis de passer tout près de son meilleur résultat et de la plus grande victoire de l’histoire du Championnat U20 (78-12 contre l’Italie en 2018).
Nicolas Depoortère et Marko Gazzotti ont inscrit deux essais chacun, tandis que Hugo Reus, Noa Zinzen, Esteban Capilla, Mathis Ferté, Léo Carbonneau, Brent Liufau et Andy Timo ont marqué les autres. Reus a également réalisé une performance parfaite au pied, ce qu’il a répété en devenant le meilleur buteur du tournoi, avec six coups de pied sur six.
Alors que la victoire du Japon était basée sur une conquête clinique, les Bleuets ont montré qu’ils connaissaient plus d’une façon de gagner un match en battant la Nouvelle-Zélande 35-14. Absent lors de la première rencontre, le deuxième-ligne Posolo Tuilagi (149 kg) a fait forte impression en inscrivant deux essais au cours d’une énorme performance des avants.
« Le vrai tournant pour moi, c’est l’énorme victoire qu’ils sont allés chercher contre les Blacks. Parce que contrairement à ce qu’on peut penser, au vu effectivement du score, c’était un match très difficile où les joueurs là aussi ont réalisé une grosse performance. Et ce qui a permis de faire la rotation sur ce match du Pays de Galles où l’ensemble du groupe et les autres joueurs ont très bien répondu pour une bonne victoire », poursuit Seb Calvet.
« On a pu enchaîner après avec les titulaires face à l’Angleterre qui ont vraiment fait un gros match. Derrière, on a pu être plus frais que nos adversaires. Je crois que les joueurs le ressentaient et ils ne voulaient pas passer à côté, au moins sur l’énergie. Donc, on a eu une feuille de route qui s’est plutôt bien déroulée et on sait très bien que dans ces marathons-là, un grain de sable peut enrayer toute la mécanique. »
Même le carton rouge de Barnabé Massa à la 14e minute, un jaune requalifié par le bunker TMO, n’a pas freiné l’équipe de France dans son match décisif de la poule A contre le Pays de Galles. A un moment donné, la France a même été réduite à 13 hommes lorsque Brent Liufau a été expulsé, mais elle s’est quand même imposée, 43-19, grâce à un doublé de Depoortère et à des essais de Clément Mondinat, de Léo Carbonneau et de Lino Julien.
CREUSER EN PROFONDEUR
La France a de nouveau fait preuve de résilience lorsqu’elle s’est remise d’une entame de match catastrophique contre l’Angleterre, remontant un retard de 17 à 0 pour s’imposer 52 à 31. C’était la première fois que la France passait la barre des 50 points contre l’Angleterre dans un match international U20.
La discipline des Français a été la seule chose qui les a déçus dans la course à la demi-finale mais, contre l’Angleterre, ils ont réussi à garder leurs 15 joueurs sur le terrain tout en punissant impitoyablement leurs adversaires lorsque Finn Carnduff a été expulsé à la 47e minute. Le capitaine Lenni Nouchi et Gazzotti, encore lui, ont marqué des essais rapides qui ont permis aux Bleuets de prendre une avance qu’ils n’ont jamais perdue.
« On a réussi à se discipliner sur les matchs les plus importants. Après, ils étaient tous importants. Mais voilà, on a su rectifier le tir sur les phases finales », reconnaît le capitaine Lenni Nouchi.
« Et ça nous porte chance. On voit que l’Angleterre, après le carton jaune en début de seconde période on marque trois essais. Et là, c’est la même. On profite des erreurs des autres et du coup, ça nous met la marche en avant et on a su en profiter. Donc on est très heureux sur ça. »
Avec Nouchi et Gazzotti qui évoluent au niveau international et Oscar Jegou qui sévit également dans la troisième-ligne, les Bleuets pouvaient même se permettre de laisser le tout aussi remarquable Andy Timo sur le banc ou carrément en dehors des 23 le jour de la finale, tant leur force de frappe était importante.
L’énorme gabarit de Posolo Tuilagi a contribué à rendre le groupé pénétrant français presque inarrêtable et les Français ont également été excellents sur les phases statiques, avec une mêlée et une touche efficaces à plus de 90%.
Avec une base aussi solide à l’avant, le demi de mêlée Baptiste Jauneau s’est amusé comme un fou et a pu donner le tempo du match. Toujours menaçant, Jauneau a imposé la vigilance aux défenses grâce à ses courses de précision et a fait preuve d’une grande intelligence et d’un grand talent athlétique pour relier les joueurs entre eux où qu’ils se trouvent sur le terrain.
C’est à ce moment-là que les Bleuets ont vraiment pris leur envol, comme en témoignent les 10 dernières minutes à couper le souffle de la finale, qui ont permis aux Bleuets de terminer en un feu d’artifice ce 14 juillet. L’Irlande était encore dans le match à la mi-temps, n’étant menée que 17-14 et ayant pris le score par deux fois, mais la France a su passer à la vitesse supérieure en inscrivant 33 points sans réponse après la pause, dont 21 lors de cette fin de match en apothéose.
« Sur une finale comme ça, l’énergie est là parce qu’il y a toute l’équipe et il faut tout donner, lâcher nos tripes pour la team. Toute l’équipe a fait pareil que moi et c’est pour ça qu’on a gagné », commente Marko Gazzotti, qui a été désigné joueur du tournoi peu après le coup de sifflet final.
« J’ai tout donné ce soir. Tout le monde a tout donné ce soir et c’est pour ça qu’on en est là aujourd’hui. C’est ce qui me fait kiffer de jouer avec cette équipe, c’est que personne ne lâche rien et on va toujours jusqu’au bout. Sur le dernier match, sur la demi-finale, quand on perd 17-0, on s’est fait un peu peur, mais on est resté soudés et ça a été le moment très difficile. Mais on est revenu et finalement derrière, on gagne de 40 points. Je pense que cette équipe a un état d’esprit qui est énorme et c’est pour ça qu’on arrive à gagner avec de tels scores. »
UNE ANNÉE PARFAITE ?
Le triomphe des Bleuets au Cap est un autre point positif pour le rugby français, à un moment où ce sport est déjà en plein essor dans le pays, à tous les niveaux.
« Nous sommes très fiers car il y a une belle dynamique, de la part des amateurs de rugby en France, de la fédération, de la grande équipe, de Fabien Galthié et de son staff, des anciens U20 champions du monde », poursuit Sébastien Calvet.
« Mais au-dessus de tout, c’est surtout l’esprit qu’ils ont eu tout au long de la compétition : l’humilité, le respect de l’adversaire, la combativité, de jouer les uns pour les autres. Nous sommes très heureux de ça. Nous savons que beaucoup en France sont fiers de nous et nous en sommes très fiers aussi. »
Même si la Coupe du Monde de Rugby 2023 arrive un peu trop tôt dans la carrière de ces champions du monde, certains joueurs comme Gazzotti, le numéro huit, sont destinés à jouer rapidement sur la plus grande scène du rugby. En attendant, il espère voir la France devenir double championne du monde.
« Je pense qu’on a réalisé notre histoire. On s’était dit dès le départ que c’était la nôtre et qu’on allait aller jusqu’au bout. On l’a fait. Après, si après ça peut inspirer les grands et qu’ils gagnent aussi leur Coupe du Monde à eux, ce serait parfait pour le rugby français », sourit-il.