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Pourquoi les clubs français attirent plus que les clubs anglais ?

Les joueurs du Stade toulousain célèbrent la victoire en Champions Cup devant les supporters au Capitole et à l'hôtel de ville de Toulouse, à Toulouse, le 26 mai 2024. (Photo by Valentine CHAPUIS / AFP) (Photo by VALENTINE CHAPUIS/AFP via Getty Images)

Le 25 mai 2024, Toulouse a battu le Leinster en finale de Champions Cup. Dans la foulée de ce succès, les scènes de liesse qui ont animé les rues de la Ville Rose ont fait le tour des réseaux sociaux, en France mais aussi en Angleterre.

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Certains supporters anglais avaient alors loué cette ferveur, ajoutant que c’est justement ce qui manquait au rugby de club à XV en Angleterre, discipline qui souffre grandement d’un manque d’enthousiasme.

Un engouement vraiment incomparable ?

Mais peut-on leur donner raison ? Est-il impossible de voir en Angleterre les scènes de liesse aperçues en France ? Il convient d’abord de corriger certains a priori. Contrairement à ce que d’aucuns pourraient penser outre-Manche, on ne verrait pas de telles images dans toutes les villes de France en cas de titre majeur. Ces situations sont propres aux « villes de rugby », c’est-à-dire les villes où le club de rugby à XV est prédominant dans le cœur du grand public et qu’il ne vit pas dans l’ombre d’un club de football, ni uniquement pour un noyau dur de supporters.

S’il est donc courant de voir les fans se réunir par dizaines de milliers pour célébrer leurs héros à Toulouse, Toulon, La Rochelle, Clermont, Bayonne ou encore Castres, entre autres, il est assez peu probable d’assister à un engouement aussi intense ailleurs.

On a pu voir en 2022, par exemple, que les célébrations à l’Hôtel de Ville de Lyon après la victoire du LOU en Challenge Cup n’ont réuni qu’une poignée de fidèles supporters. De même, les célébrations du titre de champion de France 2016 du Racing 92 avaient réuni environ 2 000 fans au Plessis-Robinson.

Quid de l’Angleterre, alors ? Interrogé par RugbyPass France, le journaliste sportif britannique Bryn Palmer, qui travaille notamment pour World Rugby, BBC Sport ou encore Olympics Broadcast Services, nuance le propos des fans anglais.

« En Angleterre, il y a des villes de rugby, c’est juste qu’il n’y en a pas beaucoup. Il y a Bath, par exemple. Les fans ont revécu une belle saison cette année, notamment sous l’impulsion de Finn Russel et grâce au style de jeu pratiqué. L’ambiance au ‘Rec’ [The Recreation Ground, stade de Bath] a clairement changé. Mais le stade ne peut accueillir que 8 000 personnes je crois [10 600 exactement]. Ce n’est pas grand.

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« Northampton est aussi une ville de rugby, Leicester également. Gloucester, aussi. Jouer devant le Shed – la tribune nord du Kingsholm Stadium où se réunissent les supporters les plus fervents – c’est dur pour les adversaires. Dans ces villes, le rugby est devant le football. Pour le reste des clubs de Premiership, comme Sale qui est en concurrence locale avec Manchester United et Manchester City, ils sont dans l’ombre du football et doivent batailler pour se faire une place au soleil. Pareil à Newcastle. On ne peut pas dire que ce soit une ville de rugby, même si les Falcons sont suivis par un noyau dur de fidèles passionnés. »

Bryn Palmer reste conscient que culturellement parlant, des villes comme Toulouse, Toulon ou La Rochelle jouissent d’une ambiance incomparable, propos qui ont été appuyés par de nombreux joueurs britanniques par le passé. Pour autant, on ne peut pas dire que les supporters de rugby manquent tous de passion en Angleterre, de même que tous les supporters français ne vivent pas qu’à travers leur club.

« C’est une situation qui se juge au cas par cas en fonction des clubs. Le problème, c’est surtout que ça fait longtemps qu’aucun club anglais ne semble en mesure de remporter cette Champions Cup. Quand Exeter a gagné, il y avait le Covid mais on aurait pu voir ces scènes de joie. À part ça, aucun club n’a vraiment semblé en mesure de rivaliser depuis longtemps », estime Bryn.

Certes, Northampton a donné du fil à retordre au Leinster en demi-finale cette saison, mais les clubs anglais semblent, en effet, moins armés sur le plan sportif pour aller au bout et déclencher ces scènes de joie.

Des clubs endettés qui tournent au ralenti depuis le Covid

Si les clubs anglais impressionnent moins, c’est aussi en grande partie parce qu’ils ont vu leur modèle économique grandement mis à mal par la pandémie. « Les clubs anglais dépendent presque tous d’investisseurs privés. Ils ne pensaient pas que leur modèle économique serait autant affecté », analyse le journaliste.

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Afin de compléter ces revenus, les clubs misaient énormément sur les emprunts et la recette de leur billetterie. Or, les matchs à huis-clos ont mis ces clubs dans les cordes. Au total, on estime ces dettes cumulées à 100 millions de livres.

Autre problème majeur : en Angleterre, historiquement, le rugby de club n’a jamais autant attiré que le XV de la Rose et ce, malgré l’engouement local suscité par les rares clubs mentionnés ci-dessus. Depuis l’instauration du professionnalisme en 1995, aucun club n’a réussi à être bénéficiaire et pérenne sur le long terme.

À l’issue de la saison 2022/23, Premiership Rugby Ltd., organe de gestion du rugby de club professionnel, affichait un chiffre d’affaires de 65 millions de livres là où, en France, la Ligue Nationale de Rugby, à la faveur d’affluences en hausse dans les stades, établissait un chiffre d’affaires de 163 millions d’euros.

Cette situation catastrophique n’a pas été sans conséquence, puisqu’elle a vu de grands clubs anglais péricliter. Qui aurait cru, au milieu des années 2000, qu’un club comme les Wasps – six fois champion d’Angleterre dont quatre entre 2003 et 2008 et champion d’Europe en 2004 et 2007 – serait relégué administrativement en dixième division après avoir fait faillite en 2023 ? Sans parler des faillites de clubs historiques comme Worcester ou les London Irish la même année, ou encore de la relégation administrative des ultra dominants Saracens pour avoir enfreint la règle du salary cap quelques saisons plus tôt.

Ces rétrogradations et ces problèmes financiers ont naturellement entraîné une fuite des talents… qui ont rejoint l’hexagone ! En France, on a notamment accueilli Henry Arundell au Racing 92, Courtney Lawes à Brive, Johnny May à Soyaux-Angoulême, Zach Mercer à Montpellier et pressenti à Toulon, Lewis Ludlam et Kyle Sinckler à Toulon, Billy Vunipola à Montpellier, son frère Mako peut-être au RC Vannes, Jack Willis à Toulouse, son frère Tom Willis à Bordeaux, Alex Moon et Manu Tuilagi à Bayonne ou encore Will Collier à Castres, entre autres.

L’herbe est plus verte ailleurs

Au-delà du nombre, c’est surtout le calibre des joueurs anglais venus jouer en Top 14 – voire en Pro D2 ! – qui impressionne. Si la venue de joueurs en fin de carrière comme Manu Tuilagi ou Courtney Lawes répond à une forme de logique, ce dernier ayant même conseillé aux jeunes joueurs anglais de s’exiler pour mieux gagner leur vie et épargner tant leur carrière sera courte, il reste surprenant de voir Jack Willis, l’un des meilleurs gratteurs d’Europe, mettre en suspens sa carrière internationale pour favoriser sa carrière en club.

En effet, il y a plusieurs années, la puissante RFU (Rugby Football Union, fédération anglaise qui gère l’équipe nationale et affichait un chiffre d’affaires de 189 millions de livres en 2022/23) a mis en place une règle stipulant que tout joueur évoluant à l’étranger n’est plus éligible à une sélection avec le XV de la Rose. Instaurée pour empêcher ses meilleurs éléments de céder aux sirènes d’un championnat plus attractif financièrement – le championnat de France pour ne pas le nommer – cette loi, qu’un grand nombre de fans aimeraient voir abolie, a aussi souffert du Covid.

« Jack Willis, c’est la conséquence directe de cette situation financière, » explique Bryn Palmer. « Quand il a rejoint Toulouse, une clause avait été mise en place par la RFU. Elle stipulait que si les joueurs des Wasps ou des London Irish, dont le club avait été liquidé et qui se retrouvaient sans offre de la part de clubs anglais, partaient à l’étranger, ils pourraient continuer de jouer pour l’Angleterre. C’est dans cette optique que Jack Willis et d’autres joueurs sont partis en France. Willis l’a dit. Il veut jouer pour l’Angleterre. Quant à Steve Borthwick, il ne se priverait pas d’appeler Jack Willis. »

Tout n’est pas si noir…

Si l’instauration d’une ligue fermée et la mise en suspens des promotions / relégations n’a pas que des aspects positifs – le club de Newcastle restant en Premiership malgré ses 18 défaites en autant de matchs cette saison – elle a insufflé un peu de fraîcheur sur le plan du jeu.

« D’un point de vue rugbystique, sur le terrain, le rugby de clubs en Angleterre va bien ! Il suffit de voir le jeu proposé par Northampton, qui a remporté le championnat, ou Bath, qui est allé en finale au terme d’une belle saison, » explique Bryn Palmer. « Depuis la liquidation des clubs mentionnés plus tôt, la Gallagher Premiership, qui ne compte plus que dix équipes, est redevenue hyper compétitive. À deux journées de la fin, même le huitième du classement pouvait encore viser les places européennes. »

« À l’instar du Top 14 à une période, le championnat anglais était connu pour son style très rugueux. Mais le fait qu’il n’y ait plus de relégation actuellement a libéré les équipes sur le plan du jeu. Elles craignent moins de jouer et de développer un rugby plus offensif. On a vu de superbes matchs cette saison. Il n’y a pas que Northampton et Bath. On a vu Bristol ou encore les Harlequins – qui sont connus pour leur jeu offensif – régaler le public anglais. Les seuls qui n’ont pas tenu le rythme, ce sont les Newcastle Falcons. Mais leur budget est largement inférieur à celui des autres clubs. Il suffit de voir leur recrutement. »

Malheureusement, sur le plan financier, les perspectives ne sont pas aussi optimistes. En effet, rien ne semble être mis en place actuellement pour que le modèle économique soit revu et assaini. Le rugby anglais boitille mais semble rester dans l’attente d’un mécène pour lui sauver la vie.

Il ne reste plus aux fans qu’à espérer de voir un Bath ou un Northampton soulever la Champions Cup afin d’inonder les rues de leur ville et prouver que la ferveur rugbystique n’est pas une exception culturelle française.

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