Salary Cap : 7 questions pour comprendre la réforme
C’est le sujet du moment entre les présidents de club de rugby français, évoluant en Top 14 et en Pro D2. Lundi 18 décembre, ils étaient réunis à Marseille afin de débattre sur un point en particulier : l’intégration de la commission des agents de joueurs dans le Salary Cap.
Plafonnée à 10,7 millions d’euros par saison en France, la masse salariale est aussi une variable d’ajustement pour combler les déficits des clubs. Et tous les moyens sont bons pour éviter de les creuser, quitte à rogner sur le salaire des joueurs grâce à une réforme qui se prépare en toute discrétion.
Quel est le système actuel ?
Le Salary Cap est un dispositif financier instauré en France en 2010 (onze ans après l’Angleterre) jouant un rôle majeur dans la régulation du rugby professionnel, pour contrôler les coûts et assurer l’équité financière du championnat. Il s’agit du plafond salarial « joueurs » commun pour chaque club de Top 14.
« Le Salary Cap a montré son efficacité pour garantir l’équilibre du Top 14 (7 champions différents lors des 10 dernières éditions) et contribuer à la santé économique des clubs », estime la Ligue Nationale de Rugby (LNR).
Depuis la saison 2010/2011, la masse salariale des joueurs en France est plafonnée. Aussi la LNR entend-elle consolider le dispositif dans son plan stratégique 2023-2027 en préconisant trois points importants. D’abord la stabilisation du plafond de 10,7 M€ jusqu’à la fin de la saison 2026/2027 (il était de 11,3 millions d’euros avant le Covid). Ensuite en poursuivant l’amélioration continue des dispositifs de suivi et de contrôle. Enfin en responsabilisant les différentes parties prenantes (joueurs, entraîneurs, agents, …) dans son application.
Et c’est sur ce dernier objectif que porte la réforme en cours de discussion actuellement.
Combien est payé un joueur de rugby aujourd’hui ?
Le Salary Cap n’a pas toujours été aussi élevé. « En 2010-11, la Salary Cap était de 8,1 millions € », rappelle le chercheur WladimirAndref dans son Analyse économique du rugby professionnel en France : Equilibre compétitif et contrainte budgétaire (2015).
« Elle a été révisée en hausse, saison après saison, 8,7 millions € en 2011-12, 9,5 millions € en 2012-2013, puis 10 millions € en 2013-14, 2014-15 et 2015-16. La Salary Cap a sans doute contribué à stabiliser, elle aussi, le ratio masse salariale/budget à 60%, mais elle n’empêche pas la hausse de la masse salariale chargée, au mieux elle en ralentit la croissance. »
Le niveau de rémunération d’un joueur de rugby est très loin de celui d’un joueur de football. Ainsi, à part de rares exceptions – le média anglais Ruck assurait que Handre Pollard touchait 1,19 million d’euros à Montpellier, que Finn Russell et Cheslin Kolbe émargeaient à 1 million chacun respectivement au Racing et à Toulon – aucun ne dépasserait le million d’euros.
Le salaire moyen d’un rugbyman en France serait d’un peu moins de 19 000€ brut par mois. Même Antoine Dupont toucherait 600 000€ brut par an (selon Rugbyrama).
Quel est le montant de la commission d’un agent ?
Aujourd’hui, l’agent de joueur touche une commission calculée à partir de la rémunération brute du joueur. Le pourcentage varie entre 3 à 10% (le maximum autorisé en France).
Et actuellement, comme c’est le club qui mandate l’agent la plupart du temps, c’est le club qui paye la commission sur la base de la rémunération de celui-ci, ce qui pourrait s’apparenter à un avantage en nature vis-à-vis du joueur.
Que propose la réforme ?
Jusqu’alors, les clubs chargeaient donc les agents sportifs de nouer des liens avec les joueurs afin de les attirer. Une mission qui était par conséquent payée par les clubs eux-mêmes.
Or, selon L’Equipe, « les présidents sont tombés d’accord pour instaurer une nouvelle règle : l’intégration des commissions d’agent dans le salary cap ». Ainsi, les agents seraient payés par les joueurs ; un système déjà en place en Angleterre.
Ainsi, si l’agent est payé par le joueur, cela « conduirait mécaniquement à une baisse de leur rémunération déjà soumise aux cotisations sociales et évidemment à l’impôt sur le revenu », rappelle Midi Olympique. Dans un tel cas, il est fort à parier que les joueurs réclament une hausse de salaire pour faire face à ce coût supplémentaire, ce qui pourrait porter préjudice aux clubs sans trop de moyens.
Pourquoi les présidents de club poussent à cette réforme ?
Cette solution est présentée officiellement pour limiter les déficits des clubs. Plus sournoisement, ce système pourrait, comme le relève une source anonyme à L’Equipe, « forcer les joueurs à négocier directement avec les clubs sans utiliser les agents ».
Par conséquent, les joueurs ne seraient plus aussi libres de leur avenir et plus à la merci des clubs qui pourraient jouer la carte de la pression financière comme assurance vie.
Que craignent les agents ?
Tout simplement leur disparition ! « Il y a un risque de paupérisation du marché avec 60 %-70 % des agents qui vont disparaître », craint Miguel Fernandez, directeur de CSM Sport & Entertainment et président d’Intervals, le syndicat des agents sportifs de rugby, cité dans L’Equipe.
Quelle est la position des joueurs ?
Face à la complexité du dossier, les joueurs voient mal pour le moment ce que cette réforme peut leur apporter de bon.
« Les joueurs sont foncièrement contre cette réforme », croit savoir Mathieu Giudicelli, directeur général de Provale, le syndicat des joueurs interrogé par L’Equipe. « Les joueurs seraient les grands perdants de cette réforme et ce n’est pas imaginable. »
Des discussions doivent se poursuivre avant une prise de décision finale qui devrait intervenir au milieu de l’année 2024.