Top 100 RugbyPass : les raisons qui font d'Antoine Dupont le N.1
Antoine Dupont ressort N.1 du Top 100 réalisé par RugbyPass pour l’année 2024. Une évidence, tant le demi de mêlée réinvente son poste et son sport.
Dresser une liste des 100 meilleurs joueurs du monde, c’est à la fois une bénédiction et une malédiction. Une bénédiction, parce que c’est le rêve de tout amateur de rugby de jouer le rôle de sélectionneur en pouvant piocher dans toutes les équipes de la planète. Une malédiction parce que vous le faites en sachant que pratiquement tous les autres fans de ce sport auront une version différente de la vôtre, et vous voueront aux gémonies sans autre forme de procès.
C’est ainsi et finalement, c’est très bien. Enlever ce parti pris partial, totalement subjectif, voire patriotique reviendrait à occulter la passion des fans. C’est cette rivalité, cette ferveur et cette surenchère qui attirent les foules vers l’élite du sport.
J’aimerais vous dire que l’on dispose, à RugbyPass, d’une équation mathématique top secrète élaborée dans un bunker souterrain par des scientifiques vêtus de blouses blanches dont ressort une liste définitive. Mais c’est tout simplement impossible, évidemment. La liste est subjective et si vous deviez confier la même tâche à 100 journalistes, sans parler de milliers de fans, il est peu probable que vous obteniez une sélection semblable.
Une fois n’est pas coutume, notre N.1 devrait faire l’unanimité, ou presque, puisqu’il s’agit d’Antoine Dupont. Mais pour appuyer cette impression visuelle, ce sentiment d’être témoin et contemporain d’un joueur qui marquera – et qui a déjà marqué – l’histoire, RugbyPass a fait appel aux statistiques d’Opta. On va y revenir.
Pléthore de joueurs ont été considérés puis éliminés
Pour lui comme pour tous les autres, nous avons étayé nos choix par des citations d’entraîneurs, de partenaires, d’experts qui les connaissent sur le bout des doigts et, bien sûr, nous avons fait appel à un panel de journalistes qui combinent plus de 100 ans d’expérience et de terrain afin de présenter les arguments qui ont conduit à ces choix.
Sans surprise, pléthore de joueurs figuraient sur la liste initiale et en ont été éliminés au fur et à mesure des matchs des Autumn Nations Series. Certains resteront donc anonymes, et d’autres comme Louis Bielle-Biarrey, Joseph-Aukuso Suaalii et Wallace Sititi ont au contraire vu leur cote grimper en flèche au fur et à mesure du mois de novembre.
Prenons l’exemple de Wallace Sititi. Sa performance à Twickenham contre l’Angleterre est l’une des plus époustouflantes que l’auteur ait vue de ses yeux, et le joueur des Chiefs semble lancer sur les rails d’une carrière brillante.
Regardez l’Australien Tom Wright, et son hallucinant total de 245 m parcourus contre une équipe galloise à la dérive : on peut légitimement se demander comment Eddie Jones a pu se laisser sur le bord du chemin, en route pour la Coupe du Monde 2023.
Des facteurs à prendre en compte presque illimités
Certains joueurs auraient sans doute figuré plus haut dans le classement s’ils n’avaient pas été blessés, comme Dan Sheehan et Romain Ntamack. D’autres ont souffert de leur absence au niveau international, à l’image de Richie Mo’unga.
Les facteurs à prendre en compte étaient presque illimités. La réussite collective actuelle ne pouvait clairement pas être ignorée, ce qui explique que l’Afrique du Sud, double championne du monde en titre et N.1 au classement World Rugby, est l’équipe qui compte le plus de joueurs dans la liste : 18. À l’inverse, le pays de Galles, en galère toute l’année, n’en dénombre que trois.
Les compétences intrinsèques et la capacité à être décisif sont d’autres éléments du puzzle. Comment ne pas garder en tête cette image de RG Snyman libérant les bras après le contact pour délivrer une passe à peine croyable ? Comment ne pas considérer ce ballon ramassé d’une main par l’inusable Beauden Barrett, suivi d’une contre-attaque ? Ou les qualités athlétiques, le sens de l’équilibre et l’explosivité d’Immanuel Feyi-Waboso, la puissance brute de Will Skelton et Emmanuel Meafou, destructeurs de maul patentés ?
Le leadership, le charisme, sont d’autres facteurs moins palpables mais non négligeables. Siya Kolisi ne laissera pas un souvenir impérissable du côté du Racing 92. Mais donnez-lui un maillot des Springboks, et il devient un incroyable meneur d’hommes.
Inutile de se demander si les déménageurs de piano ont été lésés au profit des pianistes
Quand on établit une telle liste, inutile de se demander si les déménageurs de piano sont lésés au profit des pianistes. Le travail du cinq de devant, et d’autant plus quand il s’agit des piliers, demeure souvent peu visible, et par conséquent sous-évalué. Avec Ox Nche, voilà un digne représentant de la confrérie des « pilars » dans le top 10. Car mesurer l’influence d’un Tyrel Lomax, qui verrouille les mêlées, face à celle d’un Kurt-Lee Arendse, qui marque des essais, est pratiquement impossible et renforce l’idée que le rugby est LE sport d’équipe par excellence. La liste entière serait sujette aux discussions enflammées jusqu’au bout de la nuit autour d’une bière bien fraiche ou d’un bon brandy.
Cela nous ramène à notre top 10, rempli de Springboks mais dont le fer de lance est un petit Français. Ce qui est réconfortant, c’est que les deux meilleurs joueurs du monde (enfin, selon nos critères) sont deux « petits » gabarits à l’échelle du rugby international. C’est tout simplement prodigieux dans un sport qui prend en compte la toise et la balance plus que n’importe quel autre. Cheslin Kolbe et Antoine Dupont sont des talents générationnels, mais Dupont a raflé la mise de par sa position sur le terrain, l’influence qu’il a et la confiance qu’il distille à ses partenaires.
Kolbe est un magicien, aussi précis en touche qu’un champion de fléchettes, capable de mettre des culs à des 2e lignes, de faire jouer les autres comme un 10 ou de taper les pénalités. Tout cela en plus de son job principal, qui consiste à laisser les défenseurs sur place et à franchir la ligne d’en-but.
Toutefois, il me semblerait impardonnable de ne pas attribuer la première place à Dupont. Le premier match auquel je me souviens avoir assisté remonte à 1981, trois ans après la retraite internationale de Sir Gareth Edwards, l’emblématique demi de mêlée gallois.
Antoine Dupont prêt à défier Gareth Edwards
Avec le capitaine français, vous avez un joueur prêt à le défier, voire à le devancer, en tant que meilleur joueur de tous les temps. Ces hypothèses pourront être confirmées lorsque Dupont prendra sa retraite – ce qui est loin d’être le cas, puisque le Toulousain vient tout juste d’avoir 28 ans.
En NBA, il existe une mesure appelée « value over replacement player (VORP) », qui permet d’évaluer l’influence d’un joueur par rapport à sa doublure. Sans manquer de respect à Maxime Lucu ou Nolan Le Garrec, on peut se demander si elles peuvent se transposer au rugby mondial. Pourquoi l’équipe de France a-t-elle été si inconstante lors du Tournoi des Six Nations 2024 ? Réponse : Dupont ne jouait pas.
L’équipe de France de rugby à VII, compte tenu de son faible passé dans la discipline et de l’absence de victoire sur le circuit mondial depuis des lustres, aurait-elle eu une chance de remporter l’or olympique à Paris sans son magicien ? Il est permis d’en douter.
Les Bleus auraient-ils tenu tête aux All Blacks cet automne dans Dupont sur le terrain ? La question mérite d’être posée.
Sans oublier que Dupont a également brillé en club. Champion de France, champion d’Europe avec Toulouse, élu meilleur joueur du Top 14, désigné meilleur joueur de la finale de Champions Cup face au Leinster… N’en jetez plus.
En octobre, pour son retour sur les terrains après ses vacances post olympiques, il a inscrit un triplé en onze minutes sans avoir l’air d’y toucher. ‘Super Dupont’ en est arrivé au point que s’il ne fait rien d’extraordinaire, on considère son match raté.
La semaine dernière contre l’Ulster, est était injouable. Il a ajouté un record à son Guinness personnel avec quatre passes avant essai, dont un coup de pied diagonal parfait pour Ange Capuozzo ; c’est lui qui a le plus porté le ballon ; il a battu quatre défenseurs ; il a marqué un essai ; il a réussi deux coups de pied 50-22.
La palette indécente de Dupont
Sa palette est indécente. Il peut taper indifféremment des deux pieds, qu’il s’agisse d’un coup de pied dans la boite dans le bon timing, une sortie de camp de 50 m qui tombe à quelques centimètres de la ligne de touche, ou un coup de pied par-dessus la défense. Il est capable de passer après contact, de trouver un intervalle sur l’aile, de prendre de vitesse le triangle arrière adverse, de repousser les attaquants – demandez donc à Mack Hansen – ou encore de passer demi d’ouverture en fonction des besoins de son équipe. Il se murmurait même qu’il avait envie de jouer 2e centre cette saison, et on a plus salivé que ri de l’hypothèse.
En photo aux côtés de Lionel Messi, il n’apparait pas comme « un fan et le meilleur joueur de foot au monde », mais bien comme « le meilleur joueur du monde et Messi ». Ce qui en dit long sur sa place dans le panthéon du sport, déjà.
Les supporteurs des All Blacks demandent à voir ce qu’il ferait à Dunedin, par une nuit humide. Ceux des Springboks émettent des doutes sur ses capacités à briller à l’Ellis Park de Johannesburg, à 1650 m d’altitude. Pourquoi pas. Mais ce serait déraisonnable de miser ses économies sur cette possibilité.
Cet article a été publié initialement en anglais sur RugbyPass.com et adapté en français par Jérémy Fahner.
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