Kevin Rouet : « on ne voulait pas nécessairement gagner, mais tenter des choses »
Jamais encore le Canada n’avait réussi à battre la Nouvelle-Zélande. En 17 confrontations, les Black Ferns avaient été intraitables depuis la première rencontre le 6 avril 1991 en Coupe du Monde de Rugby. La dernière défaite avait été cinglante, 52-21 à Ottawa en juillet 2023.
Cette année-là, le Canada avait eu du mal à sortir de son trou noir marqué par trois défaites de rang contre l’Angleterre. Mais c’est à force de persévérance que les filles du coach Kevin Rouet ont sur se mobiliser et renverser la situation, jusqu’à ce match du 19 mai à Christchurch où le Canada l’a emporté 22-19. Par conséquent, les Black Ferns ont été remplacées par leurs tombeuses à la deuxième place du classement mondial World Rugby…
Comment avez-vous vécu la rencontre ?
Un peu stressé… les conditions étaient bonnes, mais le terrain était un peu glissant, il y a eu pas mal d’erreurs de mains au début de la part des deux équipes. On a réussi à être dans le match à la mi-temps malgré une première mi-temps qui n’était peut-être pas notre meilleure première mi-temps. Mais on est resté dans le match et en deuxième mi-temps, on a eu un bon 25 minutes. Après, une fois que tu sens que tu peux gagner, c’est mieux. On a beaucoup défendu sur les 20 dernières minutes, mais j’ai bien aimé l’équipe. Ce qui nous manquait, c’était être capable de défendre contre des grosses équipes sur des grosse séquences.
Vous sentez qu’un verrou a sauté dans l’équipe après cette victoire historique ?
C’est important pour nous. C’était la première fois que le Canada battait la Nouvelle-Zélande ; ça n’avait jamais été fait. Psychologiquement, c’est important. La France a déjà gagné la Nouvelle-Zélande, mais nous on ne l’avait jamais gagné, donc c’est quelque chose d’important pour les filles. Je pense qu’on avait bien appréhendé ce match-là. On a eu une bonne tournée pendant les trois semaines. On a un groupe qui était assez solide avec de l’expérience et ça, ça fait du bien. C’était important dans les moments-clés.
Qu’est-ce qui a changé dans le jeu du Canada depuis l’année dernière ?
On essaie beaucoup plus de choses. L’année dernière, on avait perdu trois fois contre l’Angleterre. Je pense qu’on s’était mis trop de pression à vouloir absolument gagner. Et puis on a changé notre stratégie en prenant tranquillement les matchs les uns après les autres. On progresse, on essaie de faire grandir cette équipe, prendre de l’élan pour être sûr que sur des moments clés comme celui-là on ne se pose pas de question. Il faut que l’on soit calme et serein et je pense que c’était réussi. Il y a eu de bonnes choses en tant que gestion de match.
Est-ce que ça veut dire que l’objectif premier n’était pas nécessairement la victoire ?
C’est ça, c’est ce qu’on s’est dit la veille du match. On s’est dit que bien sûr on cherchait la victoire, mais qu’avant tout il fallait qu’on essaie des choses, qu’on n’ai pas peur de jouer contre la Nouvelle-Zélande parce que sinon on ne délivre pas. Bien sûr que l’on veut toujours gagner, mais là on ne voulait pas gagner à tout prix. C’était avant tout apprendre à jouer ensemble, grandir et je pense que ça nous a permis de jouer un peu plus relâchés.
Une telle victoire permet d’appréhender très sereinement le WXV qui sera joué au Canada, justement…
J’adore ça : on va jouer l’Angleterre, la France, l’Irlande, ça va être encore des super matchs. On va sans doute faire un ou deux matchs de préparation avant contre de bonnes équipes aussi. C’est vrai que lorsque tu sors d’une compétition et tu la gagnes, tu as un groupe qui est soudé, tu as un bon état d’esprit. Il faudra que l’on soit capable de le faire revivre en septembre. Ça a créé une bonne synergie au sein du groupe.
Lorsque vous avez délogé la France de la troisième place mondiale, est-ce que vous vous êtes dit que vous pouviez aller encore plus haut la semaine suivante ?
Je savais que si on gagnait par plus de 15 points contre l’Australie on passait 3e, mais je n’avais pas vérifié qu’on pouvait dépasser la Nouvelle-Zélande. Je pensais qu’elles étaient trop loin. On ne m’avait pas passé l’information et en fait, je l’ai su après le match. C’est cool, mais on sait que ça ne va sans doute pas durer. La Nouvelle-Zélande va jouer l’Australie prochainement et j’imagine que si elles gagnent elles vont repasser devant. C’est super pour le moral des filles. C’est toujours super de se dire qu’on est deuxième mondial au classement, mais on sait que c’est très éphémère et que ça peut redescendre très vite à la troisième place. Tu es quand même en meilleure position en étant 2e qu’en étant 4e, c’est évident. Ce sont des marqueurs sympas, mais tu sais que ça ne dure pas forcément très longtemps.
Ça fait quand même une belle progression en une année…
Notre objectif est de performer contre les tops nations. On avait gagné contre la France l’an passé, là on a poursuivi avec l’Australie qui commence à se développer ; on a fait une très bonne performance parce qu’on a été dominantes pendant 80 minutes, même si le score n’est pas si large. Et là de gagner contre la Nouvelle-Zélande qu’on n’avait jamais gagné, c’est vraiment, vraiment positif pour le groupe.
Quelle a été l’ambiance dans le groupe après le match, le soir et le lendemain matin ?
En même temps que la victoire il y a eu Tyson Beukeboom qui est devenue la joueuse la plus capée (68 sélections, ndlr), donc il y a eu une petite cérémonie et des petits cadeaux autour d’elle. En fait, ça a été beaucoup autour de Tyson, puis je les ai félicitées et le staff et les joueuses sont partis chacun de leur côté. On en a profité un peu, mais tout ferme tôt en Nouvelle-Zélande, c’est pas la France ! A minuit, tout est fermé, ça va très, très vite. Et le matin, on avait une petite activité d’équipe quand tout le monde était réveillé à 10h. J’imagine que la nuit a été un peu courte.
Quel est le programme jusqu’au WXV ?
Ça va être un peu comme toutes les équipes, fin août – début septembre. On attendait juste de savoir si on allait jouer dans le WXV 1 ou le WXV 2 ; c’est toujours difficile d’organiser des matchs. Là on discute avec plusieurs équipes pour faire des matchs amicaux en amont de la compétition. Ça peut être en Europe ou directement à Vancouver, au Canada. Potentiellement un match en Europe et contre une équipe qui viendrait plus tôt à Vancouver.
La capitaine Sophie De Goede est passée récemment du XV au 7 en vue des JO. Un peu comme Antoine Dupont en France…
On a un peu plus de transfert entre le 7 et le XV. La n°9 (Olivia Apps, ndlr) et la n°6 (Pamphinette Buisa, ndlr) sont potentiellement des joueuses qui peuvent aller aux Jeux olympiques. Ma 9 partante est la capitaine de l’équipe à 7, par exemple. On a vraiment cet état d’esprit depuis maintenant deux ans d’avoir ce transfert. Même deux mois et demi avant les Jeux olympiques, on transfère les athlètes entre le XV et le 7, on se parle… On a vraiment une bonne collaboration. Et effectivement, Sophie très récemment a recommencé à faire du 7. Elle n’a pas le même rôle à XV qu’à 7 en ce moment, mais je pense que c’est bon pour son développement. Souvent les Canadiennes rêvent des Jeux olympiques avant la Coupe du Monde. Ça a toujours été ça ; on est un pays nord-américain. Ça fait partie de la culture.